« - Oh ! Vous êtes donc tout à fait lâche, Ferdinand ! Vous êtes répugnant comme un rat…
- Oui, tout à fait lâche, Lola, je refuse la guerre et tout ce qu’il y a dedans… Je ne la déplore pas moi… Je ne me résigne pas moi… Je ne pleurniche pas dessus moi… Je la refuse tout net, avec tous les hommes qu’elle contient, je ne veux rien avoir à faire avec eux, avec elle. Seraient-ils neuf cent quatre-vingt-quinze millions et moi tout seul, c’est eux qui ont tort, Lola, et c’est moi qui ai raison, parce que je suis le seul à savoir ce que je veux : je ne veux plus mourir.
- Mais c’est impossible de refuser la guerre, Ferdinand ! Il n’y a que les fous et les lâches qui refusent la guerre quand leur Patrie est en danger...
- Alors vivent les fous et les lâches ! Ou plutôt survivent les fous et les lâches ! Vous souvenez-vous d’un seul nom par exemple, Lola, d’un de ces soldats tués pendant la guerre de Cent ans ? ... Avez-vous jamais cherché à en connaître un seul de ces noms ? ... Non, n’est-ce pas ? ... Vous n’avez jamais cherché ? Ils vous sont aussi anonymes, indifférents et plus inconnus que le dernier atome de ce presse-papiers devant nous, que votre crotte du matin ... Voyez donc bien qu’ils sont morts pour rien, Lola ! Pour absolument rien du tout, ces crétins ! Je vous l’affirme ! La preuve est faite ! Il n’y a que la vie qui compte. Dans dix mille ans d’ici, je vous fais le pari que cette guerre, si remarquable qu’elle nous paraisse à présent, sera complètement oubliée... A peine si une douzaine d’érudits se chamailleront encore par-ci, par-là, à son occasion et à propos des dates des principales hécatombes dont elle fut illustrée... C’est tout ce que les hommes ont réussi jusqu’ici à trouver de mémorable au sujet les uns des autres à quelques siècles, à quelques années et même à quelques heures de distance... Je ne crois pas à l’avenir, Lola... »
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(Extrait de « Voyage au bout de la nuit »
Pendant la grande boucherie 14-18, les profiteurs et fauteurs de guerre se le faisaient belle. Les grands boulevards de Paris affichaient une vie trépidante ; les théâtres, les brasseries, les cafés concerts, les boites de nuits étaient pleins de fêtards…
Pendant que les Français Schneider, De Wendel et autres faisaient discrètement la bringue avec leurs homologues, rivaux et…amis allemands Krupp, Thyssen et autres fabricants de choses en aciers bien pointues, bien aiguisés, qui entrent dans les viandes, qui labourent les chairs, qui brisent les os, qui éclatent les cranes, qui arrachent les yeux, qui explosent en beaux feux d’artifices de mort, la France d’en-bas s’étripait avec l’Allemagne d’en-bas. Pour le plus grand profit des précédents.
La droite la plus bornée, la plus avide, la plus lâche se lâchait, se goinfrait, s’engraissait, se tapissait la tripe de sauces chaudes et onctueuses pendant que les « pauv’cons » se faisaient trouer la viande.
Le monde industriel, les présidents de chambres de commerce et d’organisations patronales, comme le Comité des Forges ne sont pas avares de belles paroles.. Alors qu’est constamment mis en avant un discours patriotique, que la production industrielle est avant tout au service de la France, que les hommages aux combattants abondent dans ces discours le moteur premier de l’effort de guerre de ces grands patrons est plutôt la recherche du profit et la possibilité d’un enrichissement rapide. Un double discours est tenu, celui destiné au public – allez vous faire tuer pour la France ! - et l’autre qui exprime les visées profondes de ces patrons : goinfrons-nous !.
Des "bandits", des "chacals", des "gredins", des "thénardiers"... Ce 21 octobre 1915, dans les colonnes du Midi socialiste, la journaliste Séverine, ancienne secrétaire de Jules Vallès, n'a pas de mots assez durs contre ceux qui "s'engraissent de la chair d'autrui" et "pressurent le soldat" en "raflant à tout prix ce qu'ils sont certains de lui revendre le triple".
Toutes les tentatives de paix ont été tuée dans l’œuf. Et pour cause : chaque "menace" de pourparler de paix faisait plonger les bourses !
La guerre est « l’art » de faire s’entre-tuer des gens pauvres, qui ne se connaissent pas, au profit de gens riches qui, eux, se connaissent… Cette maxime à la véracité sans cesse renouvelée à travers les époques a été superbement illustrée par cette chanson qui marque le désespoir, la résignation mais aussi la révolte de ceux qu’on envoyait à l’abattoir pour rien, sinon transcender la connerie humaine, seule approche que l’on puisse avoir de l’infini…
La chanson de Craône
Quand au bout d'huit jours le r'pos terminé
On va reprendre les tranchées,
Notre place est si utile
Que sans nous on prend la pile
Mais c'est bien fini, on en a assez
Personne ne veut plus marcher
Et le cœur bien gros, comm' dans un sanglot
On dit adieu aux civ'lots
Même sans tambours, même sans trompettes
On s'en va là-haut en baissant la tête
- Refrain :
Adieu la vie, adieu l'amour,
Adieu toutes les femmes
C'est bien fini, c'est pour toujours
De cette guerre infâme
C'est à Craonne sur le plateau
Qu'on doit laisser sa peau
Car nous sommes tous condamnés
C'est nous les sacrifiés
Huit jours de tranchée, huit jours de souffrance
Pourtant on a l'espérance
Que ce soir viendra la r'lève
Que nous attendons sans trêve
Soudain dans la nuit et le silence
On voit quelqu'un qui s'avance
C'est un officier de chasseurs à pied
Qui vient pour nous remplacer
Doucement dans l'ombre sous la pluie qui tombe
Les petits chasseurs vont chercher leurs tombes
- Refrain -
C'est malheureux d'voir sur les grands boulevards
Tous ces gros qui font la foire
Si pour eux la vie est rose
Pour nous c'est pas la même chose
Au lieu d'se cacher tous ces embusqués
Feraient mieux d'monter aux tranchées
Pour défendre leur bien, car nous n'avons rien
Nous autres les pauv' purotins
Tous les camarades sont enterrés là
Pour défendr' les biens de ces messieurs là
- Refrain :
Ceux qu'ont le pognon, ceux-là reviendront
Car c'est pour eux qu'on crève
Mais c'est fini, car les trouffions
Vont tous se mettre en grève
Ce s'ra votre tour messieurs les gros
De monter sur l'plateau
Car si vous voulez faire la guerre
Payez-la de votre peau
Allez, cadeau: tonton Georges
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