« E y sont où ? Et y sont où ?
E y sont où les vins primeurs.
Lalala lala la la... »
- Oh ! Victor, alors ces fêtes des vins primeurs à Avignon, qu’es’ t’en pense ?
- C’était une fête. Enfin, un rassemblement. Cette fête des vins primeurs avait une originalité, c’est que les vins primeurs, je les ai cherchés !
- Et tu les as trouvé ?
- J’ai fait tout le tour, plusieurs fois du square Agricol Perdiguier, en bas de la rue de la Ré. En demandant chaque fois qu’il me fasse taster leur vin primeur. Que dalle… J’en ai trouvé trois, peut-être quatre : rive gauche, « Colombe des Vignes », c’est à dire la cave des vignerons réunis de Sainte-Cécile-les-vignes, fief de feu mon pote le grand Max Aubert, un des fondateurs de ces fêtes des primeurs. Puis rive droite « Domaine Pélaquié », à Saint-Victor-Lacoste, une valeur sûre réputée pour ses blancs entre autres, et le « Domaine des Romarins à Domazan où Xavier et Benoit Fabre, quatrième génération de vignerons, passionnés par l’art du vin mais aussi par l’art pictural : allez voir leurs cuves décorées dans leur fief de Domazan. Une trouvaille.
- Ah ! Bé tu vois bien que tu t’es régalé Victor, alors tire pas trop la gueule.
- Mouais… Mais attends, quand tu arrives dans ce petit square, ce n’est plus la même dimension qu’avant, à la grand époque du primeur où toute la ville était en fête, était la fête. Là, tu étais en radinosland : tu devais acheter un verre et cinq jetons, comme ces trucs pour les cadies de super-marché, ce qui te « donnait droit » à cinq canons de vins. Et même pas des primeurs. Puis tu avais les oreilles agressées par un orchestre qui t’imposait à fond les décibels des américonneries qui touchent plus au bruit qu’à la musique. J’ai cru qu’on était à la fête du Merda Cola primeur. Et en plus ces nuisibles sonores nous ont avertis aimablement que « Bientôt, les chanteurs des côôôtes du Rhôôône – mes potes – chanteraient « la coupôôô santôôô », avec un accent plus pointu qu’un panier d’oursins ! Tu vois l’ambiance… Heureusement, on a vu arriver, entrée Est, un groupe de quatre au cinq joyeux lurons taquinant les instruments à cuivre avec un punch jazzy du meilleur aloi ! Et les primeurs des quelques producteurs jouant encore cette cartes étaient très bons.
- Victor, faut pas jeter la pierre aux producteurs viticoles : le primeur n’a plus la côte. Dans mon rade, rares sont les inconditionnels comme toi.
- Je sais Loulle. Et c’est pourquoi je les ai engueulé raisonnablement, presque aimablement, en tout cas amicalement. Mais tu as dis le mot Loulle, on a maintenant affaire à des « exploitants viticoles », plus à des vignerons, comme on a affaire à des « exploitants agricoles », plus à des paysans. Ils ont perdu une partie de leur âme. Les bordelais sont les premiers à souffrir de cette mutation. En plus ils paient chers leur dévotion d’il y a plusieurs décennies à ce sinistre gourou venus des Amériques, le dénommé Parker, que l’on devrait prononcer « Parquais » parce que c’est lui qui a influencé les vignerons bordelais à faire des vins suralcoolisés et surboisés. Résultats, leurs vins titrent tous au dessus de 14° et pour qu’ils soient « boisés », au lieu de les laisser évoluer naturellement dans des barriques de chênes, ils balancent dans leurs cuves en inox – ou en plastique – des pelletés de copeaux de chêne ! C’est le progrès ça Kiki, ça vient d’Amérique ! Et c’est autorisé en France ! Voila pourquoi on boit des pinards qui ressemblent à des infusions de parquais, que les consommateurs se détournent du vin et que les Bordelais arrachent leurs vignes… Et ça commence à venir chez nous.
- C’est pas faux ce que tu dis Victor, c’est pas faux. Il y aussi la loi Evin qui a bien aidé à pousser nos divins vins dans le ravin.
- Exact Loulle. En assimilant le vin, produit éminemment culturel avec toutes les gnoles grossières, type whisky, vodka, tequila et autres schnaps qui sont – elles – responsables de l’alcoolisme et de ses ravages.
Tè Loulle, pour nous redonner l’enavan di fort, de la voye, pour retrouver le goût de l’estrambord, j’ai retrouvé un article que j’ai écris il y a une vingtaine de vendanges sur les fêtes des primeurs à Avignon :
« Avignon : quand les vins primeurs font la Fête.
Tandis que claquent au vent du nord les oriflammes des Confréries vineuses, tandis que sonnent de joie les cent clochers de la cité, la Place du Palais des Papes retrouve pour une fugitive soirée ses fastes multicolores d'antan. Du temps où Avignon était capitale du monde, du temps où défilaient sous les abruptes murailles du plus grand palais gothique de la planète les ambassades chamarrées, colorées et bruissantes de musiques des grands et des puissants de la chrétienté.
Mais c'est grâce à Bacchus que la cité provençale - où Saint-Pierre, pour un temps accrocha sa barque - retrouve les fastes pour lesquels elle est née.
Bacchus, le dieu de la vigne qui préside chaque année, le troisième jeudi de novembre, aux grandes bacchanales données en l'honneur de la naissance du Vin Primeur !
Les cinq cents robes de satin moiré, de soies multicolores des membres de toutes les Confréries vigneronnes de la deuxième aire d'appellation de France remontent solennellement, sous les vivats de cette foule avignonnaise si friande de fêtes, la principale artère de la ville. Elles se regroupent en un fastueux kaléidoscope aux pieds des imposantes murailles du Palais des Papes, orgueilleusement paré des atours de la Fête.
Fête du vin primeur, du vin nouveau, du premier vin sorti en chantant des cuves encore frémissantes.
Fête où l’on boit mais aussi et surtout où l’on chante, où l’on danse et pas que sur le fameux pont.
Fête du Vin, fête de Bacchus, fête de la joie de vivre, fête des vignerons dont elle chante la Gloire.
Gloire au vigneron, ce poète de la terre, ce magicien qui, d'arides cailloux fait naître le nectar préféré des dieux. Cet humaniste qui offre à ses prochains le moyen d'approcher la Lumière divine. Ce faiseur de vie dont la sueur féconde les entrailles de la terre. Ce paysan sacré qui crée le sang de Dieu.
Gloire aussi au Vin, ce dieu végétal qui prodigue généreusement à l'Homme la vigueur et l'esprit, l'humour et l'amour. Ce rassembleur qui rapproche en une communion dionysiaque les puissants et les humbles. Ce sésame du désir et du plaisir qui nous ouvre en chantant le cœur et le piège à bonheur de nos belles compagnes.
Gloire encore à la futaille, aux tonneaux, aux barriques, qui protègent, mûrissent et enfantent le Vin.
Et gloire à la bouteille, oblongue ou ventrue, dont la panse repue est une récompense.
Gloire au modeste bouchon, gardien de joie et d'éternité, dont le pop joyeux est un signal de Fête.
Gloire au hanap, au verre, au calice, au taste-vin et à la Coupo Santo, ultimes véhicules entre le Vin et l'Homme.
Gloire enfin aux Buveurs, mes frères, qui envahissent la Place et cherchent en se serrant l'espace qui dispense généreusement le Premier Vin.
Voilà ce qu'est la Fête des Vins Primeurs en Avignon où l'on chante, où l'on danse, où l'on épanche en beauté les plus larges soifs ! »
Victor Ayoli