L’alose est un poisson de mer migrateur anadrome qui vient frayer, et devenir mère, dans les eaux du Rhône où les gourmands gourmets lui font sa Fête !
- Regarde bien, petit, cette superbe alose
Les anciens l'appelaient “la princesso dou Rose”
Éclair de vif argent, longue, fine et puissante
Bien que lourde des flancs, elle reste élégante.
Sais-tu que c'est l'amour dont elle est satisfaite
Qui va te l'amener, demain, dans ton assiette ?
Respecte-la, petit, et débouche le vin
Car manger de l'amour est un plaisir divin.
C'est un poisson magique, délicieux à manger
En bonne compagnie. Et subtil à pêcher !
Lorsque le Rhône était le Fleuve-Dieu sauvage,
Point encore castré par digues et barrages,
Indomptable et fougueux quand le mistral le fouette,
Crainte des riverains et bonheur des poètes,
Braconniers et pêcheurs, au mois des primes roses
Armaient les vire-vire pour pêcher les aloses.
C'étaient des bateaux larges aux ailes de moulin
Arrimés à la rive par quatre gros filins.
Deux paniers grillagés, avec le courant, tournent.
Lorsque l'un est en haut, son opposé s'enfourne
Dans l'onde trouble et vive où peinent les aloses
Cherchant un abri sûr pour que leurs œufs éclosent.
Beaucoup n'arriveront jamais à leur frayère,
Cueillies par les paniers montant vers la lumière.
Enlevée dans les airs, l'alose se tortille
Dans une pluie dorée de gouttes qui scintillent.
Elle tombe, ahurie, dans le fond de la barque
Où le fil de sa vie est coupé par les Parques.
Le pêcheur, averti, en interrompt sa sieste,
Achève le poisson d'un coup de barre preste,
Bois un coup de rosé si sa gorge s'assèche,
Puis se rendort, heureux: pour lui le Rhône pêche !
Cette façon subtile, je crois unique en France
N'a pu être inventée que chez nous, en Provence !
Il paraît que certains, les nuits de pleine lune,
Jouant flûte et violon au bord de la lagune
Ont eu, comme Aristote, la fantastique chance
De voir, debout sur l'eau, les aloses qui dansent...
Les belles ménagères avaient leur opinion:
"Les meilleures sont les aloses d'Avignon."
En dessous d'Aramon, elles sentaient la vase,
Et après Caderousse, ce n'était que carcasses,
Mais dans le Rhône vif courant sur les galets
Roulés de Villeneuve, ou au pied du Palais
Des Papes d'Avignon, elles étaient à point:
Dévasées, mais encor avec de l'embonpoint.
- Et comment tu la cuis, ton alose, Victor ?
- Oh ! Vaï t'en plan, pitchoun, y a pas lou fio a bord !
Sers-moi d'abord un coup de rosé du Ventoux
Ou de Côtes-du-rhône, et je te dirais tout.
L'alose, tu la laves, tu l'écailles, la vides.
Tu réserves les œufs dans un torchon humide,
Prends-en un soin jaloux, c'est les meilleurs morceaux
Pour les gourmets, c'est le caviar des Provençaux.
Puis tu tranches la tête et la fends en longueur,
Coupe l'alose en darnes de deux doigts d'épaisseur.
Tu auras pris chez un compère jardinier
Une brassée d'oseille, des épinards triés.
Tu vas hacher ces herbes assez grossièrement:
Elles vont te servir en accompagnement.
Tu prends une cocotte, mais une vraie, en fonte!
Des cocotte-minute n'accepte pas la honte.
Tu graisses bien le fond, mais à l'huile d'olive,
C’est le nec plus ultra, faut pas que tu t'en prives.
Au tonneau de vin blanc, tu remplis un cruchon,
Puis tu places la tête, ouverte, sur le fond.
Tu recouvres d'un lit d'oseille et d'épinards
Sel, poivre noir, muscade, va-z-y, sois pas flemmard.
Tu dois y mettre aussi des oignons émincés,
Certains cuistots rajoutent... oui, du petit-salé.
De ton huile d'olive, une bonne giclée
Car pour ta réussite c'est là l'une des clés.
Mets tes darnes à plat, sur l'herbe, bien serrées,
Qu'elles ne bougent pas quand ça va macérer.
Un autre lit d'oseille, encore un de poisson
Chaque fois sel et poivre et de l’huile, un soupçon.
Lorsque tout est placé, bien délicatement,
Tu poses sur le tout les œufs avec leur poche.
N'aie pas peur de forcer sur l'assaisonnement
Car ce n'est qu'un poisson, et pas de la bidoche.
On atteint maintenant un moment crucial,
Pour réussir ton plat, voilà le principal:
Tu arroses le tout de trois verres de gnole.
Des verres de soiffards, pas des verres symboles.
Enfin tu mouilles avec du blanc sec de Laudun,
Mais pas trop tout de même: ce qui est opportun.
Tu fermes ta cocotte bien hermétiquement
Avec la mie de pain mouillée légèrement.
Arrive maintenant le temps de la cuisson,
Sa longueur fondra les arêtes du poisson.
C'est sous la cendre chaude, dans un cantoun de l'âtre
Que doit cuire l'alose, dans les braises rougeâtres.
Cuis-la huit heures au moins d'une chaleur tranquille.
Le tout sera confit. Une alchimie subtile
Des herbes et de l'alcool dissoudra les arêtes.
Petit, sers-moi à boire, ou sinon je m'arrête !
C'est un plat rituel pour tous les gens du Rhône.
Enfin, écoute-moi: l'alose est très friponne,
Après tout le plaisir qu'elle te donne à table
Elle fera de toi un gaillard redoutable !
Tu seras comme un cerf quand résonne son brame:
Ce plat est souverain... pour le bonheur des dames.
Cessons pour aujourd'hui ce conte culinaire
Ma tripe est assoiffée, remplis raz bord mon verre
De ce nectar divin de la Coste-du-Rhône
Et laisse près de moi la coupe et la bonbonne.
Ingrédients et proportions pour six personnes:
Deux belles aloses d'un kilo et demi chacune, - un kilo d'oseille, - un kilo d'épinards en branches ou - mieux - de vert de blettes, à défaut, de la laitue, - trois oignons émincés, - 2 hectos de petit-salé haché, - deux verres d'huile d'olive, - trois cuillerées à soupe de sel fin, - poivre noir du moulin, - muscade (à votre appréciation, mais généreusement), - une bouteille et demi de vin blanc sec, - trois verres d’"aigarden" (eau-de-vie).
Les vins conseillés:
Ce plat de poisson à la saveur puissante, animale, s'accommode parfaitement de vins blancs ayant du caractère: Côtes-du-rhône de Laudun, Villedieu, Lirac, St-Hilaire-d'Ozilhan, Chateauneuf-du-Pape.
Coteaux du Languedoc de La Clape, Picpoul de Pinet, Clairette de Bellegarde.
Côtes de Provence de Palette, Coteaux varois de Salernes, Saint-Maximin, Bellet.
Il accepte aussi parfaitement des vins rouges frais: Côtes-du-rhône d'Estézargues, Coteaux-d'Avignon, Chusclan, Rochegude, Saint-Maurice-sur-Aygues, Sablet. Costières de Nîmes. Coteaux du Languedoc de St-Drézery, Saint-Christol ou encore le "vin d'une nuit" de Saint-Saturnin. Coteaux varois de Tourves, Barjols, Nans-les-Pins.
Illustration originale Vincent Barbantan