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art de vivre - Page 6

  • Au bistro de la toile : « Debout, sobressubis de la terre ! »

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    - Salut à vous, camarades Sobressubis ! Levons sobrement nos verres mais sans économiser la bonne tétée d’octobre que nous verse sournoisement ce suppôt de la surconsommation, le ci-devant Loulle, capitaliste propriétaire de cet antre de la dépravation ultra consommatrice qu’est son - notre - rade, « Le Bistro de la Toile » !

    - Sobresuquoi , t’as dit Victor. Qu’est-ce que c’est encore cette cagade ?

    - Je ne fait que reprendre les propos de notre chère Agnès Pannier-Runacher,.

    - Qui c’est celle-là ?

    - C’est la ministre de la Transition écologique. C’est elle qui prône la sobriété. Elle a dit : « On ne demandera jamais à des Français en situation de sobriété subie de faire des économies ».

    - Si je comprend bien, Victor, ceux qu’elle appelle les Français en situation de sobriété subie, ce sont les crève-le-dalle, les pauvres, les misérables comme on n’avait pas peur de dire à l’époque du grand Victor Hugo.

    - Voilà, Loulle. Agnès Pannier-Runacher pense, dans son fort intérieur, parce qu’elle a un fort intérieur : les Français que nous avons appauvris pour privilégier les  Français en situation de richesse subie.

    Il faut aussi savoir que la belle Agnès est idéalement placée pour nous inciter à la la sobriété. Formatée aux moules de HEC et de l’ENA, cette « Haute fonctionnaire » est administratrice de l'entreprise Aprr qui a été créée en 1962. Le chiffre d'affaires de la société en 2020 s'élève à 1 633 200 000 €. Agnes PANNIER RUNACHER est également mandataire de six autres sociétés. Avec une fortune plus que conséquence, elle est plus du côté de la richesse choisie que de la sobriété subie.

    - Voilà une riche sobriété Victor. Pour nous, la sobriété – pas en matière de jus de la treille les aminches, ne vous gourez pas – est une évidence : ne pas dépenser son fric pour des choses dont on a pas besoin, être économe sans être radin, mais ne pas jeter un pognon de dingue par la fenêtre pour de l'esbroufe et de la futilité. Et même éteindre la lumière derrière soi. On a toujours fait ça.

    - Ouais, Loulle. Jusqu’à ce que la société de sur-consommation, d’abondance de l’inutile ne passe par là, imposée par une injonction à consommer, à gaspiller, à jeter dans des proportions faramineuses. Tout un appareil de propagande nous enjoint de sur-consommer, à coup de publicité, de marketing, de bourrage de crâne et même d’éducation « sponsorisé ».

    - Il faut privilégier les « zécogestes » Victor. Ils le disent dans les journaux et dans les étranges lucarnes et les machines à bruit. Ils disent qu’il ne faut pas tirer la chasse chaque fois qu’on va pisser, et même pisser sous la douche qu’on ne doit pas prendre tous les jours, qu’il faut dégivrer le congélateur, éteindre les appareils électriques plutôt que de les laisser en veille, etc.

    - Il faudrait aussi maximiser le cycle de l’eau, tant chez soi en utilisant l’eau des douches et de la vaisselle dans les chasses d’eau, que dans l’industrie et la distribution, en réutilisant les bouteilles de vins, les bocaux de conserves, en éliminant les emballages cartons et plastiques superflus, en privilégiant la location d’appareils électroniques et électriques d’usage épisodique, en imposant des appareils durables et réparables et non plus ces machins à « l’obsolescence programmée », etc.

    Sans négliger ces écogestes qui procèdent du bon sens autant que du sens civique, il faudrait aussi pratiquer une autre forme de sobriété consistant à réduire les écarts de salaires entre dirigeants et salariés de la base !

    - Alors là, Victor, c'est une autre paire de manches.. Allez, à la nôtre. Et sobrement !

     

    Illustration: merci au regretté Chimulus

     

  • Au bistro de la Toile : « Mangez vos morts ! » Faut-il en faire tout un plat…

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    - Oh ! Loule, ça sent bon. Qu'est-ce qu tu nous prépares pour ce midi ?

    - La blanquette Victor. La blanquette de veau. Un des plats les plus emblématiques de la cuisine française.

    - Tu devrais en envoyer une portion à l’Assemblée nationale, à la députée mélenchonienne Danielle Obono qui a conseillé aux femmes qui manifestaient pour soutenir les Iraniennes luttant au péril de leur vie contre le voile islamiste, « mangez vos morts ! »

    - C’est vrai qu’à l’Assemblée nationale, ils ont l’habitude de se manger le foie. Et puis, mangez les vivants, ils courent trop vite! Mais qu'est-ce que les propos de cette ravagée du bulbe ont à voir avec ma blanquette ?

    - J’ai un peu creusé la question et je vous rapporte ce qu’en dit William Buehler Seabrook. Journaliste au New York Times après la Première Guerre mondiale, il voyagea de par le monde, et notamment en Afrique, où il s’interrogea sur le cannibalisme au point de vouloir tenter lui-même l’expérience.

    - Ça c’est de la conscience professionnelle.

    - Il finit par rencontrer une tribu d’anthropophages qui mangeaient leurs ennemis tués au combat. Un des guerriers lui expliqua quelles parties étaient le plus appréciées : pour la viande, tout le dos (ce qui correspond, chez le bœuf, à l’entrecôte, au filet et au rumsteak), pour les abats, le foie, le cœur et le cerveau étaient considérés comme les morceaux de choix. Un guerrier lui avoua que, pour lui, “la paume des mains était le plus tendre et délicieux morceau de tous”. Néanmoins, Seabrook ne put satisfaire son envie : on lui servit du singe.

    Mais l’homme était têtu. Revenu en France, il réussit à se procurer un morceau de chair auprès d’un interne de la Sorbonne et, dans la villa du baron Gabriel des Hons, à Neuilly, se livra enfin à son expérience, devant témoins. Seabrook cuisina la viande comme il l’aurait fait pour du bœuf, s’attabla avec un verre de vin et une assiette de riz, et goûta : “Cela ressemblait à de la bonne viande de veau bien développé, pas trop jeune mais pas encore un bœuf. C’était indubitablement comme cela, et cela ne ressemblait à aucune autre viande que j’aie déjà goûtée. C’était si proche d’une bonne viande de veau bien développé que je pense que personne qui soit doté d’un palais ordinaire et d’une sensibilité normale n’aurait pu le distinguer du veau. C’était une viande bonne et douce, sans le goût marqué ou fort que peuvent avoir, par exemple, la chèvre, le gibier ou le porc. (…)  Et pour ce qui est de la légende du goût de porc, répétée dans un millier d’histoires et recopiée dans une centaine de livres, elle était totalement, complètement fausse.”

    - ...taing, Victor, heureusement que je connais bien mon boucher, sinon je me poserais des questions.

    - Bon, Loulle, moi ce que je t’en dis… Je n’en ai pas l’expérience. Mais d'autres l'on: Armin Meiwes, un informaticien allemand condamné à la prison à vie pour avoir tué en 2001 puis mangé une victime consentante (oui oui, consentante), avait tenté de décrire son repas de l'époque. Un repas fait de viande un peu dure avec un goût de porc, en un peu plus amer, plus fort.

    Tous les connaisseurs ne sont pas d’accord. Ainsi M. Nicolas Cocaign, surnommé «le cannibale de Rouen, reconnu coupable d'avoir tué en 2007 son codétenu et de lui avoir mangé une partie de poumon (qu'il a fait cuire), n'est en effet pas tout à fait du même avis. Face à un psychologue, celui qui purge actuellement une peine de 30 ans de réclusion criminelle avait alors trouvé que son bout de barbaque avait un goût de cerf et qu'il était particulièrement bon !

    - Ça ouvre des perspectives...

    - Ouais mais paraît que c’est pas très nourrissant. James Cole, archéologue à l'université de Brighton, chez les rosbifs !, s'est prêté au drôle de jeu d'évaluer l'apport calorique que pourrait avoir l'un ou l'une d'entre nous, découpé en petites rondelles, dans l'assiette. Résultat, notre viande ne représente que 1300 kilocalories par kilo.. Une broutille, par comparaison avec un sanglier (4 000 kcal par kg) ou même un oiseau (2 500 kcal par kg).

    - Si un jour on en trouve sur les marchés, faudrait tout de même pas rendre les clients malades.

    - C’est une vraie question Loulle. Une tribu aborigène anthropophage de Papouasie-Nouvelle-Guinée en a fait les frais au milieu du 20e siècle. Les femmes et enfants de la tribu avaient pour habitude de manger le cerveau et le système nerveux central des défunts, répandant ainsi le kuru dans cette tranche de la population. En l'espace de quinze ans, ce rite anthropophagique mortuaire entraînera la mort de 2500 d'entre eux.

    - Fatche. Et nous qu’on se plaint quand on nous fait bouffer des lasagnes à la viande de canasson…

    - Allez, à la nôtre. Et levons nos verres à la santé de Danielle Obonneau.

    - Je préfère tout de même Au bon vin !

     

    Illustration: merci au toujours regretté Chimulus

  • Patron, je suis venu te dire que je m’en vais

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    Le système s’affole : les DRH des entreprises voient avec une stupeur étonnée leurs cadres, leurs ouvriers spécialisés, et même leurs manards, bref leurs « ressources humaines » se présenter dans leur burlingue pour leur dire, comme tonton Gainsbourg : « Je suis venu te dire que je m’en vais... ». Ils ont tous la démissionite ! C’est grave docteur ? Ben, non, pas trop. Et c’est un fainéant robuste, un fainéant de vocation qui vous le dit.

    La pandémie a changé le rapport au monde du travail et à la vie ; elle a été un révélateur, amplifiant un malaise présent depuis longtemps et un ressentiment face à certaines habitudes managériales. Ras le bol d’être des variables d’ajustement, des serfs sans voix au chapitre. Les ceux qui vendent leurs temps et leur savoir-faire veulent que leur activité soit source d’épanouissement et pas seulement le moyen de gagner une maigre pâture. En ce sens, tonton Covid aura été positif ! Parce qu’ils semblent y avoir pris goût, les ex-confinés, les thé-lait-travailleurs en pyjama à ce subtil bonheur : glander ! Marcher avec le temps au lieu de se laisser dévorer par lui. Ecouter sa vie. Réfléchir au lieu de s’agiter.

    En ex-Indochine, un proverbe dit : « Les Vietnamiens plantent le riz, les Cambodgiens le regardent pousser, les Laotiens l’écoutent pousser ». Toute une philosophie de vie qui désacralise le « travail ». « Travail » (du latin tripalium, instrument de torture). Ils sont bien plus valorisants les termes italien lavorare « labeurer » ou « labourer » plus spécifique et espagnol obrare « œuvrer », accomplir une œuvre.

    Le travail implique contrainte, souffrance, malédiction divine. Le sacré l’a imprégné profondément de son odeur fétide de malheur, de mystère, le préservant de toute remise en cause. Le sinistre M. Thiers, dans le sein de la Commission sur l’instruction primaire de 1849, disait : « Je veux rendre toute-puissante l’influence du clergé, parce que je compte sur lui pour propager cette bonne philosophie qui apprend à l’homme qu’il est ici-bas pour souffrir et non cette autre philosophie qui dit au contraire à l’homme : "Jouis". » Thiers – fossoyeur de la Commune - formulait la morale de la classe bourgeoise dont il incarna l’égoïsme féroce et l’intelligence étroite.

    Mais c'est qu’ils ont appris à glander dans un confinement salutaire. Le COVID tleur a offert cette chance et beaucoup la saisisse au lieu de se morfondre en attendant qu' « on » leur donne de nouveau le droit de se vautrer dans la servitude volontaire. Le chômage partiel, c’est en quelque sorte ce revenu universel qui plane depuis quelques années. Tu te lèves le matin, et tu trouves sous le paillasson assez de thunes pour vivre tout en glandant ! Il n’en faut pas trop car le fric pourri tout ce qu’il touche. Assez pour ne pas avoir la hantise de la rue, la hantise de la faim. Elle est pas belle la vie ?

    La paresse, la fainéantise, le glandage sont l’apanage d’une élite. On naît fainéant. C’est une chance immense et une injustice pour les autres. L’art de ne rien faire est difficile et ne semble pas donné à tout le monde. Même les loisirs en prennent un coup : le temps libre est de plus en plus confisqué par la télévision et les industriels des loisirs. Nombreux sont ceux qui redoutent l’inaction et réclament un ordre du jour même pendant leurs vacances. Comme s’ils craignaient de se laisser aller, de se laisser guider par la fantaisie. Peut-être par peur de se retrouver seuls avec eux-mêmes ?

    Nous sommes influencés par cette culture où le religieux ("Tu te nourriras à la sueur de ton front !") se mêle à l’économique (travailler plus pour gagner plus) et condamne l’oisif à travailler. Sauf s’il est rentier ou/et actionnaires ! Dans ce cas, c’est son capital qui travaille pour lui, c’est-à-dire vous, moi, les cochons de payants de la France d’en bas. C’est le pognon qui manque, pas le boulot qui n’a rien de sacré. D’ailleurs dès qu’ils sont assez ferrés, qu’est-ce qu’ils font les riches ? Ils arrêtent de travailler !

    Après des siècles de christianisme et avec l’esprit du capitalisme, on n’imagine pas passer sa vie dans l’inactivité, à moins de passer pour un marginal ou un illuminé. Et malheur à vous si vous avez la malchance d’être au chômage ou si vous avez choisi de faire passer votre vie personnelle avant le travail. On aura vite fait de vous soupçonner de paresse, fainéantise ou de manque d’ambition. Et vous perdrez votre vie à la gagner. Et pourtant ! Dans une autre vie, j’ai même été « chef d’entreprise ». Et je n’embauchais que des fainéants avoués. Ils sont les plus fiables, les plus efficaces des collaborateurs : un fainéant œuvre vite pour avoir plus vite fini et bien pour ne pas avoir à y revenir !

    Il y a dans l’art de ne rien faire le signe d’une conscience vraiment affranchie des multiples contraintes qui, de la naissance à la mort, font de la vie une frénétique production de néant. Niquer ces contraintes est une libération.

    Dans le système capitaliste d’exploitation de l’humain, il y a de la malice, assurément, à en faire le moins possible pour un patron, à s’arrêter dès qu’il a le dos tourné, à saboter les cadences et les machines, à pratiquer l’art de l’absence justifiée. La paresse ici sauvegarde la santé et prête à la subversion un caractère plaisant, presque ludique, propice au développement de l’imagination ! Elle rompt l’ennui de la servitude, elle brise le mot d’ordre, elle rend la monnaie de sa pièce à ce temps qui vous ôte huit heures de vie et qu’aucun salaire ne vous laissera récupérer. Elle double avec un sauvage acharnement les minutes volées à l’horloge pointeuse, où le décompte de la journée accroît le profit patronal. Voler ainsi un patron, n’est-ce pas de la récupération ?

    Pourtant, il plane sur la paresse une telle culpabilité que peu osent la revendiquer comme un temps d’arrêt salutaire, qui permet de se ressaisir et de ne pas aller plus avant dans l’ornière où le vieux monde s’enlise. Encore que ! Certaines entreprises découvrent les bienfaits de la sieste !

    Qui, des allocataires sociaux, proclamera qu’il découvre dans l’existence des richesses que la plupart cherchent où elles ne sont pas ? Ils n’ont nul plaisir à ne rien faire, ils ne songent pas à inventer, à créer, à rêver, à imaginer. Ils ont honte le plus souvent d’être privés d’un abrutissement salarié qui les privait d’une paix dont ils disposent maintenant sans oser s’y installer.

    La culpabilité dégrade et pervertit la paresse, elle en interdit l’état de grâce, elle la dépouille de son intelligence. Pourtant ils feraient dans la fainéantise d’étonnantes découvertes : un coucher de soleil, le scintillement de la lumière dans les sous-bois, l’odeur des champignons, le goût du pain qu’il a pétri et cuit, le chant des cigales, la conformation troublante de l’orchidée, les rêveries de la terre à l’heure de la rosée, sans oublier les formidables rêves érotiques !

    Ce brave coronavirus nous a donne la possibilité de découvrir tout ça.

    « Nous aurons bien mérité la retraite » soupirent les travailleurs. Ce qui se mérite, dans la logique de la rentabilité, a déjà été payé dix fois plutôt qu’une !

    Si la paresse s’accommodait de la veulerie, de la servitude, de l’obscurantisme, elle ne tarderait pas à entrer dans les programmes d’État qui, prévoyant la liquidation des droits sociaux, mettent en place des organismes caritatifs privés qui y suppléeront : un système de mendicité où s’effaceront les revendications qui, il est vrai, en prennent docilement le chemin si l’on en juge par les dernières supplications publiques sur le leitmotiv « donnez-nous de l’argent ! ». L’affairisme de type mafieux en quoi se reconvertit l’économie en déclin ne saurait coexister qu’avec une oisiveté vidée de toute signification humaine.

    La paresse est jouissance de soi ou elle n’est pas. N’espérez pas qu’elle vous soit accordée par vos maîtres ou par leurs dieux. On y vient comme l’enfant par une naturelle inclination à chercher le plaisir et à tourner ce qui le contrarie. C’est une simplicité que l’âge adulte excelle à compliquer.

    Que l’on en finisse donc avec la confusion qui allie à la paresse du corps le ramollissement mental appelé paresse de l’esprit - comme si l’esprit n’était pas la forme aliénée de la conscience du corps.

    L’intelligence de soi qu’exige la paresse n’est autre que l’intelligence des désirs dont le microcosme corporel a besoin pour s’affranchir du travail qui l’entrave depuis des siècles.

    La paresse est un moment de la jouissance de soi, une création, en somme ! Le fainéant est un créateur naturel. Un créateur de bonheur !


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