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art de vivre - Page 3

  • LES BISTROTS DU COEUR

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    - Loulle, tu es à toi seul un monument en péril. Faudra qu'on écrive à Stéphane Bern  pour faire quelque chose pour toi.

    - Qu'est-ce que tu barjaques là Victor, t’as bu de la flotte ou quoi?

    - Eh oui mastroquet de mon cœur, ton troquet est un monument en péril. Il fait partie des nouveaux monuments en péril à sauver : les bistrots. Voilà une noble cause ! Les bistrots sont les derniers lieux de rencontre conviviaux, les derniers espaces où l’on peut s’asseoir au chaud, lire le journal, boire un coup, écouter les dialogues souvent savoureux des piliers de bistrots, espèce éminemment respectable, faite d’humour souvent involontaire, de trogne fellinienne opiniâtrement bâtie à base de spiritueux… 

    Tiens, hier, je suis allé accompagner au trou un vieil ami. On s’est donc retrouvé entre potes attristés devant une église. Poussés par le froid et le mistral, nous sommes entrés. Mais un moment, ça va. D’autant plus que nos apartés rigolards, de plus en plus bruyants, faisaient se tourner vers nous des regards outrés des contrits et contrites de vocation. Nous sommes donc sortis sur le parvis où nous avons pu donner libre cours à nos souvenirs les plus gratinés, faisant ainsi revivre gaiement notre malheureux pote, héros involontaire de la fête.  Le drame, c’est qu’il n’y avait pas le moindre bistrot à moins d’une encablure (pour les ignare, une encablure c’est environ 400 mètres). Il a fallu attendre la fin de la cérémonie et l’embarquement de l’impétrant chez les Roblo’s boys pour qu’on puisse aller s’en jeter quelques uns à sa mémoire… 

    - C’est ben triste ça, dit Bert. Pourtant, à titre documentaire, je vous signale qu’il existe à Aubord, petit village gardois, une véritable église-bistrot – enfin un temple-bistrot puisqu’on est chez les parpaillot. Dans le corps principal de la bâtisse, sur l’arrière et sur le côté, il y a…un bistrot ! Voilà l’avenir. Aux enterrements, pendant que les femmes vont à l’église ou au temple, ou à la synagogue, ou à la mosquée, les hommes vont..à la chapelle ! 

    - Pour en revenir aux bistrots, ils s’étonnent de voir leur clientèle s’amenuiser… Mais il faudrait peut-être qu’ils révisent leurs prix. Remettre sa tournée à l’heure actuelle, revient trop cher ! Donc exit les piliers de bistrots somptueux qui, il y a quelques décennies, travaillaient quotidiennement leur durillon de comptoir en pratiquant — en grands sportifs — l’apéro-bic ! Et sans ces vedettes locales, exit la clientèle qui venait là comme au théâtre… 

    - Sauf chez Loulle tout de même. À la nôtre !

    - Eh, les gars, on va lancer une O.N.G.: Les Bistrots du Cœur    

  • Finies les vacances?

    GLANDEURS de tous les pays, unissons-nous !

    Mais c’est qu’ils risquent d’y prendre goût, les vacanciers, à ce subtil bonheur : glander ! Marcher avec le temps au lieu de se laisser dévorer par lui. Écouter sa vie. Réfléchir au lieu de sagiter. Et pourtant dans quelques jours, fini le glandouillage, c’est la dictature du boulot qui reprend ses droits.

    En ex-Indochine, un proverbe dit : « Les Vietnamiens plantent le riz, les Cambodgiens le regardent pousser, les Laotiens l’écoutent pousser ». Toute une philosophie de vie qui désacralise le « travail ». « Travail » (du latin tripalium, instrument de torture). Ils sont bien plus valorisants les termes italien lavorare « labeurer » ou « labourer » plus spécifique et espagnol obrare « œuvrer », accomplir une œuvre.

    Le travail implique contrainte, souffrance, malédiction divine. Le sacré l’a imprégné profondément de son odeur fétide de malheur, de mystère, le préservant de toute remise en cause. Le sinistre M. Thiers, dans le sein de la Commission sur l’instruction primaire de 1849, disait : « Je veux rendre toute-puissante l’influence du clergé, parce que je compte sur lui pour propager cette bonne philosophie qui apprend à l’homme qu’il est ici-bas pour souffrir et non cette autre philosophie qui dit au contraire à l’homme : "Jouis". » Thiers – fossoyeur de la Commune - formulait la morale de la classe bourgeoise dont il incarna l’égoïsme féroce et l’intelligence étroite.

    Apprends à glander ami Confiné. Le COVID te donne cette chance, saisis-la au lieu de te morfondre en attendant qu' « on » te donne de nouveau, en te « déconfinant », le droit de te vautrer dans la servitude volontaire. Le chômage partiel, c’est en quelque sorte ce revenu universel qui plane depuis quelques années. Tu te lèves le matin, et tu trouves sous le paillasson assez de thunes pour vivre tout en glandant ! Il n’en faut pas trop car le fric pourri tout ce qu’il touche. Assez pour ne pas avoir la hantise de la rue, la hantise de la faim. Elle est pas belle la vie ?

    La paresse, la fainéantise, le glandage sont l’apanage d’une élite. On naît fainéant. C’est une chance immense et une injustice pour les autres. L’art de ne rien faire est difficile et ne semble pas donné à tout le monde. Même les loisirs en prennent un coup : le temps libre est de plus en plus confisqué par la télévision et les industriels des loisirs. Nombreux sont ceux qui redoutent l’inaction et réclament un ordre du jour même pendant leurs vacances. Comme s’ils craignaient de se laisser aller, de se laisser guider par la fantaisie. Peut-être par peur de se retrouver seuls avec eux-mêmes ?

    Nous sommes influencés par cette culture où le religieux ("Tu te nourriras à la sueur de ton front !") se mêle à l’économique (travailler plus pour gagner plus) et condamne l’oisif à travailler. Sauf s’il est rentier ou/et actionnaires ! Dans ce cas, c’est son capital qui travaille pour lui, c’est-à-dire vous, moi, les cochons de payants de la France d’en-bas. C’est le pognon qui manque, pas le boulot qui n’a rien de sacré. D’ailleurs dès qu’ils sont assez ferrés, qu’est-ce qu’ils font les riches ? Ils arrêtent de travailler !

    Après des siècles de christianisme et avec l’esprit du capitalisme, on n’imagine pas passer sa vie dans l’inactivité, à moins de passer pour un marginal ou un illuminé. Et malheur à vous si vous avez la malchance d’être au chômage ou si vous avez choisi de faire passer votre vie personnelle avant le travail. On aura vite fait de vous soupçonner de paresse, fainéantise ou de manque d’ambition. Et vous perdrez votre vie à la gagner. Et pourtant ! Dans une autre vie, j’ai même été « chef d’entreprise ». Et je n’embauchais que des fainéants avoués. Ils sont les plus fiables, les plus efficaces des collaborateurs : un fainéant œuvre vite pour avoir plus vite fini et bien pour ne pas avoir à y revenir !

    Il y a dans l’art de ne rien faire le signe d’une conscience vraiment affranchie des multiples contraintes qui, de la naissance à la mort, font de la vie une frénétique production de néant. Niquer ces contraintes est une libération.

    Dans le système capitaliste d’exploitation de l’humain, il y a de la malice, assurément, à en faire le moins possible pour un patron, à s’arrêter dès qu’il a le dos tourné, à saboter les cadences et les machines, à pratiquer l’art de l’absence justifiée. La paresse ici sauvegarde la santé et prête à la subversion un caractère plaisant. Elle rompt l’ennui de la servitude, elle brise le mot d’ordre, elle rend la monnaie de sa pièce à ce temps qui vous ôte huit heures de vie et qu’aucun salaire ne vous laissera récupérer. Elle double avec un sauvage acharnement les minutes volées à l’horloge pointeuse, où le décompte de la journée accroît le profit patronal. Voler ainsi un patron, n’est-ce pas de la récupération ?

    Pourtant, il plane sur la paresse une telle culpabilité que peu osent la revendiquer comme un temps d’arrêt salutaire, qui permet de se ressaisir et de ne pas aller plus avant dans l’ornière où le vieux monde s’enlise. Encore que ! Certaines entreprises découvrent les bienfaits de la sieste !

    Qui, des allocataires sociaux, proclamera qu’il découvre dans l’existence des richesses que la plupart cherchent où elles ne sont pas ? Ils n’ont nul plaisir à ne rien faire, ils ne songent pas à inventer, à créer, à rêver, à imaginer. Ils ont honte le plus souvent d’être privés d’un abrutissement salarié qui les privait d’une paix dont ils disposent maintenant sans oser s’y installer.

    La culpabilité dégrade et pervertit la paresse, elle en interdit l’état de grâce, elle la dépouille de son intelligence. Pourtant ils feraient dans la fainéantise d’étonnantes découvertes : un coucher de soleil, le scintillement de la lumière dans les sous-bois, l’odeur des champignons, le goût du pain qu’il a pétri et cuit, le chant des cigales, la conformation troublante de l’orchidée, les rêveries de la terre à l’heure de la rosée, sans oublier les formidables rêves érotiques !

    Ce brave coronavirus nous donne la possibilité de découvrir tout ça.

    « Nous aurons bien mérité la retraite » soupirent les travailleurs. Ce qui se mérite, dans la logique de la rentabilité, a déjà été payé dix fois plutôt qu’une !

    Si la paresse s’accommodait de la veulerie, de la servitude, de l’obscurantisme, elle ne tarderait pas à entrer dans les programmes d’État qui, prévoyant la liquidation des droits sociaux, mettent en place des organismes caritatifs privés qui y suppléeront : un système de mendicité où s’effaceront les revendications qui, il est vrai, en prennent docilement le chemin si l’on en juge par les dernières supplications publiques sur le leitmotiv « donnez-nous de l’argent ! ». L’affairisme de type mafieux en quoi se reconvertit l’économie en déclin ne saurait coexister qu’avec une oisiveté vidée de toute signification humaine.

    La paresse est jouissance de soi ou elle n’est pas. N’espérez pas qu’elle vous soit accordée par vos maîtres ou par leurs dieux. On y vient comme l’enfant par une naturelle inclination à chercher le plaisir et à tourner ce qui le contrarie. C’est une simplicité que l’âge adulte excelle à compliquer.

    Que l’on en finisse donc avec la confusion qui allie à la paresse du corps le ramollissement mental appelé paresse de l’esprit - comme si l’esprit n’était pas la forme aliénée de la conscience du corps.

    L’intelligence de soi qu’exige la paresse n’est autre que l’intelligence des désirs dont le microcosme corporel a besoin pour s’affranchir du travail qui l’entrave depuis des siècles.

    La paresse est un moment de la jouissance de soi, une création, en somme ! Le fainéant est un créateur naturel. Un créateur de bonheur !

     

    Victor Ayoli, fainéant robuste.

  • De retour d’hostoland

     

    - Eh ! Oh ! Regardez qui nous arrive ! Un revenant : Victor ! Fatche, t’en a une drôle de gueule, on dirait un aqualique anonyme. Qu’est-ce qu’il t’est arrivé ?

    - Aqualique, tu crois pas si bien dire, Loulle : je viens d’en boire pendant près de deux semaines de l’eau.

    - Attends, on peut pas te laisser comme ça. Zoù, tournée générale qu’il a dit Bert, et du rosé de Tavel ! En traitement d’urgence. Bon maintenant raconte-nous.

    - Eh bien je sors juste d’ « hostoland ». Ouais, je viens de passer douze jours à l’hosto. Et ils m’ont sorti un litre et demi d’eau du poumon gauche. Pourtant, vous êtes témoins que la flotte, j’en abuse pas, sinon désinfectée au pastis…

    - Ah ça c'est ben vrai ! On peut témoigner. Raconte.

    - Il y a trois semaines,dans la nuit, je suis réveillé par une quinte de toux m’occasionnant une douleur fulgurante au côté gauche, le côté de la magnéto. Puteng que je me dis, mauvais tango : grosse douleur dans la poitrine côté bâbord, avec le palpitant qui tourne en surrégime et des difficultés à respirer… T’es en train d’infarctuser Victor, que je me dis. Pas le moment de sodomiser les diptères. Je m'apprête à déclencher le « plan Orrsec » : téléphoner aux pompelards, puis ambulance qui crie « tiens-bon…tiens-bon…tiens-bon… », urgence et tout le tremblement. Mais je ne m’affole pas et je fais le point avant de sonner la cavalerie. La douleur que j’avais était circonscrite au côté gauche, mais dans la viande et surtout lorsque je respirais, comme quand je m’étais esquintée les côtelettes quand j’étais bûcheron dans une autre vie et qu’un arbre me courait après pour me faire des misères. Par contre je pouvais bouger sans problèmes mon bras gauche où il n’y avait aucune douleur. Alors je me suis dit : C’est pas l’infarctus, Victor. Alors « ouate Inde scie ». J’ai avalé un Doliprane et, assis dans un fauteuil, j’ai passé la noye à échanger des maigres goulets d’air contre des douleurs que j’apprivoisais : respirer par le ventre, bouger le moins possible les côtelettes mais quand je toussais, c’était l’horreur. Et je suis allé voir mon toubib qui m’a ausculté avec son machintoscope, tripoté ou j’avais mal, s’est rendu compte qu’il n’y avait pratiquement pas d’air qui circulait dans l’éponge bâbord. Il m’envoie faire une radio tout en me donnant un antibio large spectre « pour prendre de l’avance » qu’il me dit. Je fais, le ouiquinde passe dans la douleur et le lundi matin, je retourne voir mon toubib. Il m’ausculte : « Ça s’est aggravé » qu’il me dit et il téléphone direct au service « pneumo » de l’hosto. Chance : un pajot se libérait. Je préviens ma fille qui viens me chercher et, en route, coup de fil du service qui me donnait les indications pour être hospitalisé. « Passez aux étiquettes » qu’ils me disent. « C’est quoi ça que je dis à ma fille ? - T’occupe, je connais ». Passé le rituel « des étiquettes », on monte au cinquième en suivant d'étranges lignes de couleurs au sol. Pour moi, c’était nouveau, c’était la première fois de ma vie que j’étais malade et que j’allais à l’hosto… Et une heure après j’étais devenu « ch33porte » avec un bracelet plein de codes-barres.

    Et alors toute la puissance du bastringue s’est mise en mouvement. Des nanas et des mecs tout en blanc sont venus avec des instruments sur roulettes pour me prendre la tension, la « saturation oxy», la température dans l’oreille, d’autres sont venus me perforer qui le bout du doigt, qui une veine main gauche, une autre est venue me planter un espèce de micro entonnoir dans une veine, avec un robinet.

    -...teng ! C’était la samba des poinçonneurs des lilas, comme aurait dit tonton Gainsbourg !

    - Et c’est pas fini. La docteure en chef est venu me voir, m’ausculter, me questionner, m’a programmé un scanner et des radios. Puis ça a été l’heure de la gamelle. C’est pas Bocuse mais c’est pas non plus Macdo et ça manque un peu de rouquin. Nombreuses visites chez mon colloc, Monsieur « ch33Fenêtre », un tousseur de qualité. Puis rebelotte pour les prises des « constantes » qui semblent rendre contentes les jolies infirmières. Puis ça se calme, les visiteurs s’en vont, les personnels de service changent, l’hosto se prépare pour la noche… Moi je m'installe le moins douloureusement possible et je bouquine. J’ai emporté quatre cente cinquante livres, alors je peux tenir.

    - Quatre-cents cinquante bouquins ? T’as fait venir un camion ou quoi ?

    - Non, bougre de nifle, faut être un peu moderne. Tous ces bouquins entrent dans une liseuse électronique de douze centimètres sur dix-sept. J’ai là-dedans tout Victor Hugo, tout Rimbaud, L’Iliade et l'Odyssée de tonton Homère, j’ai encore l’Enfer de Dante, Epicure, normal pour l’hosto, mais aussi des Teulé, des Eric-Emmanuel Schmidt, des San Antonio, des Maigret, des King, des Houellebec et même des livres de cul. Moi qui suis un boulimique de la lecture, j’étais servi.

    Le lendemain je suis parti en charrette, enfin en chaise roulante, avec un mec qui me pousse, dans les tréfonds du bâtiment – moi je suis au cinquième – pour le Graal moderne : le Saint Scanner ! J’ai attendu un moment puis une jolie leucovêtue est venu me chercher et m’a introduit dans l’antre de la Bête, un tunnel dans lequel l’impétrant glisse sur un lit roulant. Plein de jolies petites stagiaires pour s’occuper de moi ! En me levant de la charrette pour m’assoir sur le lit roulant, je leur ai chanté, en esquissant un pas de danse « C’est ma première Scanner partie, c’est ma première Scanner partie… » Elles ont dansé avec moi en se réjouissant de voir un client marrant !

    Suite aux résultats, la docteure spécialiste des éponges a décidé de me drainer.

    - De te trainer où Victor ? C’est pas des manières ça.

    - De me drainer Loulle, pas traîner. De me mettre un drain pour pomper le jus qu’ils avaient décelé dans l’éponge bâbord. Alors, le lendemain matin, un infirmier est arrivé dans ma piaule avec une caisse en carton. Il l’a ouverte, a mis des gants stériles, a étalé sur une tablette un tissu stérile et a déballé un tas de trucs : des compresses, des bouteilles de bétadine, une sorte de valise, des tuyaux plastiques souples gros comme le doigt, une tige creuse en ferraille elle aussi comme le petit doigt. Puis est arrivé le chirurgien. Ils m’ont demandé de m’assoir et de lever le bras gauche bien sur l’arrière. Le toubib nettoyé ma viande a un endroit précis, au milieu de mes côtelettes, m’a fait une piquouze d'anesthésiant local, puis en deux coups de bistouri a dégagé un endroit entre les côtes.

    - Il t’a taillé une entrecôte, dans ta viande ?

    - Non, Loulle c’était pas Cannibale Lecter le mec. Il a mis un tuyau creux de vingt centimètres de long dans le passage qu’il avait préparé au couteau. L’infirmier a mis une sorte de poignée à l’autre extrémité et a enfoncé en tournant entre les côtes pour passer à travers. Ça fait un peu drôle, mais je me tenais fermement au pageot et je ne suis pas douillet. Puis ils ont glissé dedans un tuyau plastique moins gros. Ils ont branché une grosse seringue, ont poussé le tuyau qui a percé la plèvre et est alors sorti dans la seringue plein de jus qu’ils ont mis dans trois flacons, pour analyses et culture qu’ils m’ont dit. On aurait dit du rhum ambré. Puis ils ont branché le gros tuyau qui allait jusqu’à une petite valise chargée de récupérer le jus et d’en mesurer le volume tandis que le toubib cousait la peau bien autour du tuyau. Il en ai sorti d’emblée un litre et demi de ce jus étrange, de l’eau qu’ils m’ont dit. J’avais de l’eau dans les poumons !

    - Un litre et demi d’eau ? A toi ? Tu n’en as jamais bu autant dans ta vie, sinon désinfectée au pastaga…

    - C’est aussi ce que je pensais. Je me suis trimbalé ce truc pendant quatre au cinq jours. Pratique pour aller pisser et téléphoner à Moscou ! Chaque jour deux personnes venaient me faire une radio, direct sur le lit, avec une sorte de girafe articulée pour vérifier l’emplacement du drain. La toubibe venait chaque jour voir si tout allait bien et vérifier à la valoche l’écoulement du jus. Lorsque ça n’a plus coulé, elle décidé d’enlever le drain. Rebelote. Ils ont retiré le tuyau de ma viande puis recousu le trou. Et voilà le travail. Je suis resté encore quelques jours en observation et là je me suis rendu compte que j’allais beaucoup mieux à des signes infaillibles.

    - Ah bon. C’est quoi ?

    - Et bien il y avait deux fois par jour une femme de salle qui venait avec son long balai nettoyer et désinfecter le sol de la piaule. Sous son uniforme blanc on devinait des enjoliveurs de poumons avantageux et un train arrière monté sur amortisseurs haut de gamme. Je la voyais se pencher, se courber, se tendre pour passer son escoube partout. Mais je souffrais trop pour apprécier. Puis, les derniers jours, ce n’est plus le balai que je voyais, mais le superbe ballet que m’offrait cette belle jeune femme, cambrée, jambes tendues, bras en mouvements. Dans ma tête je mettais une musique de reggae ou de rumba et elle m’offrait le plus émouvant des ballets !

    - Ben mon salaud...

    - Pas salaud Loulle, connaisseur et amoureux de la Vie ! Puis un scanner de contrôle, des analyses de sang et ils m’ont libéré. Voilà pourquoi, quelques jours de repos plus tard, je suis chez toi Loulle, dans ton antre du bonheur !

    - Tu es sauvé des eaux finalement, comme Moïse !

    - En quelque sorte. Tè, remets ma tournée de Tavel !