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  • Conte de Noël gastronomique.

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    On se régale, en Provence et ailleurs, des contes d’Alphonse Daudet. Mais, comme l’a révélé l’écrivain, journaliste et critique célèbre Octave Mirbeau, bien des contes publiés sous forme de feuilleton dans le journal L’Évènement sous la signature d’Alphonse Daudet et connus sous le nom des « Lettres de mon moulin » seraient dus à la plume de son ami et… « nègre » Paul Arène. Qu’importe, le résultat n’est-il pas savoureux ?

     

    Les trois messes basses

     

    Deux dindes truffées, Garrigou ?….

    Oui, mon révérend, deux dindes magnifiques bourrées de truffes.

    J’en sais quelque chose, puisque c’est moi qui ai aidé à les remplir. On aurait dit que leur peau allait craquer en rôtissant, tellement elle était tendue…

    Jésus-Maria ! Moi qui aime tant les truffes !…. Donne-moi vite mon surplis, Garrigou… Et avec les dindes, qu’est-ce que tu as encore aperçu à la cuisine ?….

    Oh ! Toutes sortes de bonnes choses… Depuis midi nous n’avons fait que plumer des faisans, des huppes, des gelinottes, des coqs de bruyère. La plume en volait partout… Puis de l’étang on a apporté des anguilles, des carpes dorées, des truites, des…

    Grosses comment, les truites, Garrigou ?

    Grosses comme ça, mon révérend… Énormes !….

    Oh ! Dieu ! Il me semble que je les vois… As-tu mis le vin dans les burettes ?

    Oui, mon révérend, j’ai mis le vin dans les burettes… Mais dame ! Il ne vaut pas celui que vous boirez tout à l’heure en sortant de la messe de minuit. Si vous voyiez cela dans la salle à manger du château, toutes ces carafes qui flambent pleines de vins de toutes les couleurs… Et la vaisselle d’argent, les surtouts ciselés, les fleurs, les candélabres !…. Jamais il ne se sera vu un réveillon pareil. M. le marquis a invité tous les seigneurs du voisinage. Vous serez au moins quarante à table, sans compter le bailli ni le tabellion… Ah ! Vous êtes bien heureux d’en être, mon révérend !…. Rien que d’avoir flairé ces belles dindes, l’odeur des truffes me suit partout… Meuh !….

    Allons, allons, mon enfant. Gardons-nous du péché de gourmandise, surtout la nuit de la Nativité… Va bien vite allumer les cierges et sonner le premier coup de la messe ; car voilà que minuit est proche, et il ne faut pas nous mettre en retard…

    Cette conversation se tenait une nuit de Noël de l’an de grâce mil six cent et tant, entre le révérend dom Balaguère, ancien prieur des Barnabites, présentement chapelain gagé des sires de Trinquelage, et son petit clerc Garrigou, ou du moins ce qu’il croyait être le petit clerc Garrigou, car vous saurez que le diable, ce soir-là, avait pris la face ronde et les traits indécis du jeune sacristain pour mieux induire le révérend père en tentation et lui faire commettre un épouvantable péché de gourmandise. Donc, pendant que le soi-disant Garrigou (hum ! hum !) faisait à tour de bras carillonner les cloches de la chapelle seigneuriale, le révérend achevait de revêtir sa chasuble dans la petite sacristie du château ; et, l’esprit déjà troublé par toutes ces descriptions gastronomiques, il se répétait à lui-même en s’habillant :

    Des dindes rôties… des carpes dorées… des truites grosses comme ça !….

    Dehors, le vent de la nuit soufflait en éparpillant la musique des cloches, et, à mesure, des lumières apparaissaient dans l’ombre aux flancs du mont Ventoux, en haut duquel s’élevaient les vieilles tours de Trinquelage. C’étaient des familles de métayers qui venaient entendre la messe de minuit au château. Ils grimpaient la côte en chantant par groupes de cinq ou six, le père en avant, la lanterne en main, les femmes enveloppées dans leurs grandes mantes brunes où les enfants se serraient et s’abritaient. Malgré l’heure et le froid, tout ce brave peuple marchait allègrement, soutenu par l’idée qu’au sortir de la messe il y aurait, comme tous les ans, table mise pour eux en bas dans les cuisines. De temps en temps, sur la rude montée, le carrosse d’un seigneur, précédé de porteurs de torches, faisait miroiter ses glaces au clair de lune, ou bien une mule trottait en agitant ses sonnailles, et, à la lueur des falots enveloppés de brume, les métayers reconnaissaient leur bailli et le saluaient au passage :

    Bonsoir, bonsoir, Maître Arnoton !

    Bonsoir, bonsoir, mes enfants !

    La nuit était claire, les étoiles avivées de froid ; la bise piquait, et un fin grésil glissant sur les vêtements sans les mouiller, gardait fidèlement la tradition des Noëls blancs de neige. Tout en haut de la côte, le château apparaissait comme le but, avec sa masse énorme de tours, de pignons, le clocher de sa chapelle montant dans le ciel bleu noir, et une foule de petites lumières qui clignotaient, allaient, venaient, s’agitaient à toutes les fenêtres, et ressemblaient, sur le fond sombre du bâtiment, aux étincelles courant dans des cendres de papier brûlé… Passé le pont-levis et la poterne, il fallait, pour se rendre à la chapelle, traverser la première cour, pleine de carrosses, de valets, de chaises à porteurs, toute claire du feu des torches et de la flambée des cuisines. On entendait le tintement des tournebroches, le fracas des casseroles, le choc des cristaux et de l’argenterie remués dans les apprêts d’un repas ; par là-dessus, une vapeur tiède, qui sentait bon les chairs rôties et les herbes fortes des sauces compliquées, faisait dire aux métayers, comme au chapelain, comme au bailli, comme à tout le monde :

    Quel bon réveillon nous allons faire après la messe !

    -II-

    Drelindin din !…. Drelindin din !….

    C’est la messe de minuit qui commence. Dans la chapelle du château, une cathédrale en miniature, aux arceaux entrecroisés, aux boiseries de chêne, montant jusqu’à hauteur des murs, les tapisseries ont été tendues, tous les cierges allumés. Et que de monde ! Et que de toilettes ! Voici d’abord, assis dans les stalles sculptées qui entourent le chœur, le sire de Trinquelage, en habit de taffetas saumon, et près de lui tous les nobles seigneurs invités. En face, sur des prie-Dieu garnis de velours, ont pris place la vieille marquise douairière dans sa robe de brocart couleur de feu et la jeune dame de Trinquelage, coiffée d’une haute tour de dentelle gaufrée à la dernière mode de la cour de France. Plus bas on voit, vêtus de noir avec de vastes perruques en pointe et des visages rasés, le bailli Thomas Arnoton et le tabellion maître Ambroy, deux notes graves parmi les soies voyantes et les damas brochés. Puis viennent les gras majordomes, les pages, les piqueurs, les intendants, dame Barbe, toutes ses clefs pendues sur le côté à un clavier d’argent fin. Au fond, sur les bancs, c’est le bas office, les servantes, les métayers avec leurs familles ; et enfin, là-bas, tout contre la porte qu’ils entrouvrent et referment discrètement, Messieurs les marmitons qui viennent entre deux sauces prendre un petit air de messe et apporter une odeur de réveillon dans l’église tout en fête et tiède de tant de cierges allumés.

    Est-ce la vue de ces petites barrettes blanches qui donne des distractions à l’officiant ? Ne serait-ce pas plutôt la sonnette de Garrigou, cette enragée petite sonnette qui s’agite au pied de l’autel avec une précipitation infernale et semble dire tout le temps :

    Dépêchons-nous, dépêchons-nous… Plus tôt nous aurons fini, plus tôt nous serons à table.

    Le fait est que chaque fois qu’elle tinte, cette sonnette du diable, le chapelain oublie sa messe et ne pense plus qu’au réveillon. Il se figure les cuisiniers en rumeur, les fourneaux où brûle un feu de forge, la buée qui monte des couvercles entrouverts, et dans cette buée deux dindes magnifiques, bourrées, tendues, marbrées de truffes…

    Ou bien encore il voit passer des files de pages portant des plats enveloppés de vapeurs tentantes, et avec eux il entre dans la grande salle déjà prête pour le festin. Ô délices ! Voilà l’immense table toute chargée et flamboyante, les paons habillés de leurs plumes, les faisans écartant leurs ailes mordorées, les flacons couleur de rubis, les pyramides de fruits éclatant parmi les branches vertes, et ces merveilleux poissons dont parlait Garrigou (ah ! Bien oui, Garrigou !) étalés sur un lit de fenouil, l’écaille nacrée comme s’ils sortaient de l’eau, avec un bouquet d’herbes odorantes dans leurs narines de monstres. Si vive est la vision de ces merveilles, qu’il semble à dom Balaguère que tous ces plats mirifiques sont servis devant lui sur les broderies de la nappe d’autel, et deux ou trois fois, au lieu de Dominus vobiscum ! Il se surprend à dire le Bénédicité. À part ces légères méprises, le digne homme débite son office très consciencieusement, sans passer une ligne, sans omettre une génuflexion ; et tout marche assez bien jusqu’à la fin de la première messe ; car vous savez que le jour de Noël le même officiant doit célébrer trois messes consécutives.

    Et d’une ! se dit le chapelain avec un soupir de soulagement ; puis, sans perdre une minute, il fait signe à son clerc ou celui qu’il croit être son clerc, et…

    Drelindin din !…. Drelindin din !

    C’est la seconde messe qui commence, et avec elle commence aussi le péché de dom Balaguère.

    Vite, vite, dépêchons-nous, lui crie de sa petite voix aigrelette la sonnette de Garrigou, et cette fois le malheureux officiant tout abandonné au démon de gourmandise, se rue sur le missel et dévore les pages avec l’avidité de son appétit en surexcitation. Frénétiquement, il se baisse, se relève, esquisse les signes de croix, les génuflexions, raccourcit tous ses gestes pour avoir plus tôt fini. À peine s’il étend ses bras à l’Évangile, s’il frappe sa poitrine au Confiteor. Entre le clerc et lui c’est à qui bredouillera le plus vite. Versets et répons se précipitent, se bousculent. Les mots à moitié prononcés, sans ouvrir la bouche, ce qui prendrait trop de temps, s’achèvent en murmures incompréhensibles.

    Oremus ps… ps… ps…

    Mea culpa… pa… pa…

    Pareils à des vendangeurs pressés foulant le raisin de la cuve, tous deux barbotent dans le latin de la messe, en envoyant des éclaboussures de tous les côtés.

    Dom… scum !…. dit Balaguère.

    Stutuo !…. répond Garrigou ; et tout le temps la damnée petite sonnette est là qui tinte à leurs oreilles, comme ces grelots qu’on met aux chevaux de poste pour les faire galoper à la grande vitesse. Pensez que de ce train-là une messe basse est vite expédiée.

    Et de deux ! dit le chapelain tout essoufflé ; puis, sans prendre le temps de respirer, rouge, suant, il dégringole les marches de l’autel et…

    Drelindin din !…. Drelindin din !….

    C’est la troisième messe qui commence. Il n’y a plus que quelques pas à faire pour arriver à la salle à manger ; mais, hélas ! à mesure que le réveillon approche, l’infortuné Balaguère se sent pris d’une folie d’impatience et de gourmandise. Sa vision s’accentue, les carpes dorées, les dindes rôties sont là, là… Il les touche… il les… Oh ! Dieu !…. Les plats fument, les vins embaument ; et, secouant son grelot enragé, la petite sonnette lui crie :

    Vite, vite, encore plus vite !…. Mais comment pourrait-il aller plus vite ? Ses lèvres remuent à peine. Il ne prononce plus les mots… À moins de tricher tout à fait le bon Dieu et de lui escamoter sa messe… Et c’est ce qu’il fait, le malheureux !…. De tentation en tentation, il commence par sauter un verset, puis deux. Puis l’Épître est trop longue, il ne la finit pas, effleure l’évangile, passe devant le Credo sans entrer, saute le Pater, salue de loin la préface, et par bonds et par élans se précipite ainsi dans la damnation éternelle, toujours suivi de l’infâme Garrigou (vade retro, Satanas !) qui le seconde avec une merveilleuse entente, lui relève sa chasuble, tourne les feuillets deux par deux, bouscule les pupitres, renverse les burettes, et sans cesse secoue la petite sonnette de plus en plus fort, de plus en plus vite.

    Il faut voir la figure effarée que font tous les assistants ! Obligés de suivre à la mimique du prêtre cette messe dont ils n’entendent pas un mot, les uns se lèvent quand les autres s’agenouillent, s’asseyent quand les autres sont debout ; et toutes les phases de ce singulier office se confondent sur les bancs dans une foule d’attitudes diverses. L’étoile de Noël en route dans les chemins du ciel, là-bas, vers la petite étable, pâlit d’épouvante en voyant cette confusion…

    L’abbé va trop vite… On ne peut pas suivre, murmure la vieille douairière en agitant sa coiffe avec égarement.

    Maître Arnoton, ses grandes lunettes d’acier sur le nez, cherche dans son paroissien où diantre on peut bien en être. Mais au fond, tous ces braves gens, qui eux aussi pensent à réveillonner, ne sont pas fâchés que la messe aille ce train de poste ; et quand dom Balaguère, la figure rayonnante, se tourne vers l’assistance en criant de toutes ses forces : Ite missa est, il n’y a qu’une voix dans la chapelle pour lui répondre un Deo gratias si joyeux, si entraînant, qu’on se croirait déjà à table au premier toast du réveillon.

    -III-

    Cinq minutes après, la foule des seigneurs s’asseyait dans la grande salle, le chapelain au milieu d’eux. Le château, illuminé de haut en bas, retentissait de chants, de cris, de rires, de rumeurs ; et le vénérable dom Balaguère plantait sa fourchette dans une aile de gelinotte, noyant le remords de son péché sous des flots de vin du pape et de bon jus de viandes. Tant il but et mangea, le pauvre saint homme, qu’il mourut dans la nuit d’une terrible attaque, sans avoir eu seulement le temps de se repentir ; puis, au matin, il arriva dans le ciel encore tout en rumeur des fêtes de la nuit, et je vous laisse à penser comme il y fut reçu.

    Retire-toi de mes yeux, mauvais chrétien ! lui dit le souverain Juge, notre maître à tous. Ta faute est assez grande pour effacer toute une vie de vertu… Ah ! tu m’as volé une messe de nuit… Eh bien ! tu m’en paieras trois cents en place, et tu n’entreras en paradis que quand tu auras célébré dans ta propre chapelle ces trois cents messes de Noël en présence de tous ceux qui ont péché par ta faute et avec toi…

    Et voilà la vraie légende de dom Balaguère comme on la raconte au pays des olives. Aujourd’hui le château de Trinquelage n’existe plus, mais la chapelle se tient encore droite tout en haut du mont Ventoux, dans un bouquet de chênes verts. Le vent fait battre sa porte disjointe, l’herbe encombre le seuil ; il y a des nids aux angles de l’autel et dans l’embrasure des hautes croisées dont les vitraux coloriés ont disparu depuis longtemps. Cependant il paraît que tous les ans, à Noël, une lumière surnaturelle erre parmi ces ruines, et qu’en allant aux messes et aux réveillons, les paysans aperçoivent ce spectre de chapelle éclairé de cierges invisibles qui brûlent au grand air, même sous la neige et le vent. Vous en rirez si vous voulez, mais un vigneron de l’endroit, nommé Garrigue, sans doute un descendant de Garrigou, m’a affirmé qu’un soir de Noël, se trouvant un peu en ribote, il s’était perdu dans la montagne du côté de Trinquelage ; et voici ce qu’il avait vu… Jusqu’à onze heures, rien. Tout était silencieux, éteint, inanimé. Soudain, vers minuit, un carillon sonna tout en haut du clocher, un vieux, vieux carillon qui avait l’air d’être à dix lieues. Bientôt, dans le chemin qui monte, Garrigue vit trembler des feux, s’agiter des ombres indécises. Sous le porche de la chapelle, on marchait, on chuchotait :

    Bonsoir, Maître Arnoton !

    Bonsoir, bonsoir, mes enfants !….

    Quand tout le monde fut entré, mon vigneron, qui était très brave, s’approcha doucement et, regardant par la porte cassée, eut un singulier spectacle. Tous ces gens qu’il avait vu passer étaient rangés autour du chœur, dans la nef en ruine, comme si les anciens bancs existaient encore. De belles dames en brocart avec des coiffes de dentelle, des seigneurs chamarrés du haut en bas, des paysans en jaquettes fleuries ainsi qu’en avaient nos grands-pères, tous l’air vieux, fané, poussiéreux, fatigué. De temps en temps, des oiseaux de nuit, hôtes habituels de la chapelle, réveillés par toutes ces lumières, venaient rôder autour des cierges dont la flamme montait droite et vague comme si elle avait brûlé derrière une gaze ; et ce qui amusait beaucoup Garrigue, c’était un certain personnage à grandes lunettes d’acier, qui secouait à chaque instant sa haute perruque noire sur laquelle un de ces oiseaux se tenait droit tout empêtré en battant silencieusement des ailes…

    Dans le fond, un petit vieillard de taille enfantine, à genoux au milieu du chœur, agitait désespérément une sonnette sans grelot et sans voix, pendant qu’un prêtre, habillé de vieil or, allait, venait devant l’autel, en récitant des oraisons dont on n’entendait pas un mot… Bien sûr, c’était dom Balaguère, en train de dire sa troisième messe basse.

    Alphonse Daudet

    Illustration X - Droits réservés

  • Bientôt Noël : pauvres ou riches mettons un peu d’originalité dans nos assiettes

    cuisine,humour second degré

    Réfractaires à l'humour au second et même troisième degré, passez votre chemin.

    L’animateur un peu déjanté d’une radio popu britiche a lancé récemment un concours sur sa station pour savoir quel était l’aliment le plus inhabituel qu’avait eu l’occasion de manger ses auditeurs. La palme est revenue à une Anglaise, une certaine Anthea, pour cette histoire : « Quand j’étais enfant, j’habitais en Afrique. On allait toujours chez le même boucher et soudainement, la viande a commencé à être bien meilleure. Lorsque nous sommes rentrés en Angleterre, nous avons appris que le boucher en question avait été arrêté parce qu’il faisait un élevage de petites filles noires ».

    Un de ses compatriotes célèbre, JONATHAN SWIFT avait déjà, en son temps (1667-1745) fait une « Modeste Proposition pour empêcher les enfants des pauvres d'être à la charge de leurs parents ou de leur pays et pour les rendre utiles au public. » Si les pauvres n'ont pas de pain, qu'ils mangent leurs bébés, propose l'auteur des Voyages de Gulliver dans un essai féroce et radical pour protester contre le cynisme des monarques et mettre en lumière les conditions de vie de la population irlandaise du XVIIIe siècle. Toute comparaison avec notre époque ne serait pas forcément fortuite!

    « L'ART D'ACCOMMODER LES BÉBÉS

    Un jeune Américain de ma connaissance, homme très entendu, m'a certifié à Londres qu'un jeune enfant bien sain, bien nourri, est, à l'âge d'un an, un aliment délicieux, très nourrissant et très sain, bouilli, rôti, à l'étuvée ou au four, et je ne mets pas en doute qu'il ne puisse également servir en fricassée ou en ragoût. ]'expose donc humblement à la considération du public que, des cent vingt mille enfants dont le calcul a été fait, vingt mille peuvent être réservés pour la reproduction de l'espèce, dont seulement un quart de mâles, ce qui est plus qu'on ne réserve pour les moutons, le gros bétail et les porcs; et ma raison est que ces enfants sont rarement le fruit du mariage, circonstance à laquelle nos sauvages font peu d'attention, c'est pourquoi un mâle suffira au service de quatre femelles; que les cent mille restants peuvent, à l'âge d'un an, être offerts en vente aux personnes de qualité et de fortune dans tout le royaume, en avertissant toujours la mère de les allaiter copieusement dans le dernier mois, de façon à les rendre dodus et gras pour une bonne table.

    Un enfant fera deux plats dans un repas d'amis; et quand la famille dîne seule, le train de devant ou de derrière fera un plat raisonnable, et assaisonné avec un peu de poivre et de sel, sera très bon bouilli le quatrième jour, spécialement en hiver. J'ai fait le calcul qu'en moyenne un enfant qui vient de naître pèse douze livres, et que dans l'année solaire, s'il est passablement nourri, il ira à vingt-huit. Je reconnais que cet aliment sera un peu onéreux, en quoi il conviendra parfaitement aux propriétaires terriens qui, ayant déjà sucé la moelle des pères, semblent les mieux qualifiés pour manger la chair des enfants.(...)

    Ceux qui sont économes (ce que réclame, je dois bien l’avouer, notre époque) pourront écorcher la pièce avant de la dépecer ; la peau, traitée comme il convient, fera d’admirables gants pour dames et des bottes d’été pour messieurs raffinés.

    Quant à notre ville de Dublin, on pourrait y aménager des abattoirs, dans les quartiers les plus appropriés, et qu’on en soit assuré, les bouchers ne manqueront pas, bien que je recommande d’acheter plutôt les nourrissons vivants et de les préparer « au sang » comme les cochons à rôtir. (…)

    On trouvera de la chair de nourrisson toute l'année, mais elle sera plus abondante en mars, ainsi qu'un peu avant et après, car un auteur sérieux, un éminent médecin français, nous assure que grâce aux effets prolifiques du régime à base de poisson, il naît, neuf mois environ après le carême, plus d'enfants dans les pays catholiques qu'en toute autre saison; c'est donc à compter d'un an après le carême que les marchés seront le mieux fournis, étant donné que la proportion de nourrissons papistes dans le royaume est au moins de trois pour un : par conséquent, mon projet aura l'avantage supplémentaire de réduire le nombre de papistes parmi nous.

    Ainsi que je l'ai précisé plus haut, subvenir aux besoins d'un enfant de mendiant (catégorie dans laquelle j'inclus les métayers, les journaliers et les quatre cinquièmes des fermiers) revient à deux shillings par an, haillons inclus, et je crois que pas un gentleman ne rechignera à débourser dix shillings pour un nourrisson de boucherie engraissé à point qui, je le répète, fournira quatre plats d'une viande excellente et nourrissante, que l'on traite un ami ou que l'on dîne en famille.

    Ainsi, les hobereaux apprendront à être de bons propriétaires et verront leur popularité croître parmi leurs métayers, les mères feront un bénéfice net de huit shillings et seront aptes au travail jus-qu'à ce qu'elles produisent un autre enfant. Une personne de qualité, un véritable patriote dont je tiens les vertus en haute estime, se fit un plaisir, comme nous discutions récemment de mon projet, d'y apporter le perfectionnement qui suit.

    De nombreux gentilshommes du royaume ayant, disait--il, exterminé ces temps-ci leurs cervidés, leur appétit de gibier pourrait être comblé par les corps de garçonnets et de fillettes entre douze et quatorze ans, ni plus jeunes ni plus âgés, ceux-ci étant de toute façon destinés à mourir de faim en grand nombre dans toutes les provinces, aussi bien les femmes que les hommes, parce qu'ils ne trouveront pas d'emploi: à charge pour leurs parents, s'ils sont vivants, d'en disposer, à défaut la décision reviendrait à leur plus proche famille.

    Avec tout le respect que je dois à cet excellent ami et patriote méritant, je ne puis tout à fait me ranger à son avis: car, mon ami américain me l'assure d'expérience, trop d'exercice rend la viande de garçon généralement coriace et maigre, comme celle de nos écoliers, et lui donne un goût désagréable; les engraisser ne serait pas rentable. Quant aux filles, ce serait, à mon humble avis, une perte pour le public parce qu'elles sont à cet âge sur le point de devenir reproductrices. De plus, il n'est pas improbable que certaines personnes scrupuleuses en viennent (ce qui est certes fort injuste) à censurer cette pratique, au prétexte qu'elle frôle la cruauté, chose qui, je le confesse, a toujours été pour moi l'objection majeure à tout projet, aussi bien intentionné fût-il. (…)

    D’un cœur sincère, j’affirme n’avoir pas le moindre intérêt personnel à tenter de promouvoir cette œuvre nécessaire, je n’ai pour seule motivation que le bien de mon pays, je ne cherche qu’à développer notre commerce, à assurer le bien-être de nos enfants, à soulager les pauvres et à procurer un peu d’agrément aux riches. Je n’ai pas d’enfants dont la vente puisse me rapporter le moindre penny ; le plus jeune a neuf ans et ma femme a passé l’âge d’être mère. »

    On pourra nous objecter qu'avec ce que l'on bouffe comme merde, la viande – même de bébés - ne doit pas être terrible… Ouais, mais il existe tout de même des règlementations: on pourrait avoir des bébés bio, des bébés élevés sous la mère, des bébés AOC, des bébés label rouge, des bébés de cru, etc.

    Mais pourquoi succomber à cette mode du jeunisme ? Les vieux retraités ne pourraient-ils pas – lorsqu'ils sont « à points » - être recyclés par l'industrie agroalimentaire, qui ne manque pas d'imagination, en viande pour lasagnes, raviolis, nems, etc.

    A soumettre au nouveau Monsieur retraite du gouvernement. Allez, bon appétit et pantagruéliques repas de la période de Noïo Hel, la célébration du Jour nouveau chez les Gaulois, nos ancêtres (parmi d'autres)!

     

    Illustration: merci à Goya

  • Approchez Mesdames et Messieurs ! Tentez votre chance à la grande tombola des retraites !

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    En écrivant ces lignes, j’entends le Berger fidèle s’exprimer dans la machine à bruit. Il est prêt à lécher les Gucci de Macron et de son collaborateur Philippe pourvu que ceux-ci lui donnent un nonos à ronger, en l’occurrence ramener « l’âge pivot » à, disons 63 ans. Moyennant quoi il acceptera tout le paquet « systémique » (pour user de la Novlangue à la mode) de la retraite à points. C’est-à-dire la Tombola organisée par la Commission européenne. Car la retraite à points est bien une « demande » venant de l’Union européenne. Partout où ce système est imposé, les montants des retraites ont diminué, l’âge pivot a reculé. Comme en Allemagne, où les retraites ont baissé de 10 % par rapport aux salaires. Et où 2,7 millions des plus de 65 ans vivent sous le seuil de pauvreté. Ou comme en Suède, où les travailleurs doivent bosser jusqu’à 68,5 ans pour toucher le montant qu’ils avaient avant la réforme, à 65 ans.

    Serions-nous plus kons que les Belges ? Les arrangements « raisonnables » que le patron du premier syndicat français s’apprête à signer pourraient le laisser croire. Parce il y a deux ans, gouvernement et patronat belges ont tenté d’imposer une « pension » à points. Les travailleurs belges ont réussi à les faire reculer.

    La retraite à points, ça veut dire : on vous donnera des points et plus des euros. Ces points seront calculés à la fin de votre carrière. Mais ils seront variables en fonction du budget de l’État, du coût de la vie et de l’espérance de vie. Donc, si l’espérance de vie augmente, notre pension va diminuer. S’il y a de nouveau une crise comme en 2008, c’est à nouveau les pensionnés qui vont payer, automatiquement. C’est une pension tombola, et c’est le gouvernement qui tire les numéros perdants…

    La finalité cachée mais bien réelle de cette « réforme » - de ce recul – est de baisser le montant des pensions de retraite mais aussi et surtout de semer le doute dans l’esprit des futurs retraités : « combien vais-je toucher quand je prendrais ma retraite ? » Comme il est impossible de faire une simulation et que le dernier mot – la valeur du point – appartiendra toujours au gouvernement, les salariés inquiets vont être puissamment incités à prendre une assurance individuelle en se tournant vers les systèmes de pension privés : les fameux fonds de pensions avec lesquels chaque salarié épargne pour sa propre retraite, au lieu de compter sur la solidarité entre les générations. La négation du troisième terme de la devise de notre république : « Fraternité ».

    Voilà ce que veut Macron, président des riches, président banquier, président mis en place part les lobbys financiers dont le plus puissant, l’étasunien Blackrock, a ses entrées directes à l’Élysée. La réforme des retraites, pour les financiers, doit être l’occasion de mettre en œuvre un système par capitalisation, qui, jusque-là, n’a pas réussi à s’implanter en France, en dépit des divers mécanismes instaurés depuis quinze ans (dispositifs Madelin, Perco, Perp). Elle doit leur permettre de mettre enfin la main sur une épargne « parmi les plus élevées d’Europe » qui leur échappe jusqu’à présent.

    Cette offensive pour faire les poches des travailleurs français au profit des mafias financières yankees a commencé par la loi « Pacte » (adoptée par le parlement le 11 avril 2018 et promulguée le 22 mai 2019) dont un discret paragraphe ouvre la porte aux grandes sociétés de gestion et fonds de pension anglo-saxons, pour qu’ils puissent prendre pied sur le « marché » français de la retraite.

    Jusqu’à présent, ces pas vers la retraite par capitalisation gardaient tout de même le système de la rente versée en complément des rentes AGIRC-ARRCO et non pas en capital versé le moment venu. Or la loi Pacte contient une mesure radicale, consistant à autoriser aussi la sortie en capital de tous ces produits, ce qui les transforme en produits financiers ordinaires, sans les avantages de produits assurantiels, sans la garantie de sauvegarder son épargne, donc soumis à toutes les spéculations. Aux États-Unis, où la sortie en rente n’était pas obligatoire et où l’épargne retraite est investie dans des fonds de pension, majoritairement en actions et sans aucune garantie de capital, les retraités ont subi de lourdes pertes pendant la crise financière (30 %). C’est la tombola ! Tentez votre chance : faites « confiance » aux mafias de la finance !

    Pour y voir plus clair dans ce foutoir, il convient de rappeler comment fonctionne le système de retraite français.

    Il y a d’abord le premier palier : le régime de base obligatoire, c’est la retraite Sécu par laquelle la génération des actifs paie la retraite de ses parents.

    Il y a ensuite un deuxième palier, également obligatoire, le régime des retraites complémentaires. Celui de l’AGIRC (Association générale des institutions de retraite complémentaire des cadres), qui gère le régime de retraite complémentaire des cadres du secteur privé, et celui de l’ARRCO (Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés), qui gère le régime de retraite complémentaire de l’ensemble des salariés du secteur privé.

    Puis il y a un autre palier, pas obligatoire celui-là mais prenant de plus en plus de place, ce sont les retraites supplémentaires que les Français peuvent souscrire volontairement soit individuellement, soit à travers leur entreprise. C’est vers ce palier que la réforme-recul Macron veut progressivement orienter le système de retraite français. Ce serait enfin la grande victoire du patronat sur les avancées sociales du Conseil National de la Résistance (dont Philippe, sans vergogne, a osé se prévaloir lors d’un de ces bavardages !)

    C’est là que réside la grande hypocrisie de Macron et de ses sbires : Philippe, Delevoye et son successeur. La main sur le cœur, ils peuvent jurer sur leurs grands dieux qu’ils ne feront rien contre les régimes de retraite par répartition. Mais si, par la suite, ces systèmes deviennent de moins en moins généreux, la capitalisation ne peut que prendre de plus en plus d’importance. C’est ce que suggère cette réforme, partie pour faire la part belle aux grands fonds de pension anglo-saxons.

    Pour accélérer le dynamitage de la retraite par répartition, l’économiste mondialement reconnu Thomas Piketti a trouvé dans la réforme-recul une autre mesure : l’abaissement des cotisations retraite sur les très hauts salaires. Jusqu’à présent, les cotisations sur les retraites sont perçues jusqu’à des salaires de 27 000 euros par mois, soit huit fois le plafond de la Sécurité sociale. Dans le cadre de sa réforme, le gouvernement prévoit que les cotisations obligatoires sur les salaires seront perçues jusqu’à 10 000 euros par mois, soit trois fois le plafond de la Sécurité sociale. Au-delà, il y aurait juste une cotisation de « solidarité » de 2,8 %. « Par rapport au système actuel, c’est une énorme baisse de cotisation pour les salaires entre 120 000 et 250 000 euros par an. C’est le nouveau « super Macron des riches », s’offusque-t-il. Pourtant le Premier ministre Pinocchio-Philippe, décidément sans vergogne dans ses mensonges, nous présente ça comme « un effort des plus riches envers les plus pauvres ».

    Maintenant qu’on y voit un peu plus clair, une seule réponse : grèves, manifestations et toutes actions visant à faire retirer cette réforme-recul par ce gouvernement puant les relents thatchiériens.

    « Ils » nous disent tous qu’il n’y a pas d’alternatives : ou on baisse les pensions, ou on augmente les cotisations, ou on recule l’âge de la retraite. Il n’est venu l’idée à personne parmi ces têtes d’œuf, d’élargir l’assiette de ces cotisations, notamment à tous les robots qui prennent la place des femmes et des hommes. Quand je vais dans un hypermarché, il y a maintenant une dizaine de caisses automatiques où une seule personne est remplacée par huit ou dix robots.  Des exemples comme ça il y en a partout: sur les autoroutes, pour les billets SNCF ou métro, etc. Cherchez.Taxons-les au SMIC pour le nombre de personnes qu’elles virent et tant la retraite que la Sécu et le chomdu seront immédiatement à l’équilibre financier.

    Eh ! Oh ! Victor, t’as fumé le paillasson ou quoi ?



    Sources :

    https://www.mediapart.fr/journal/france/091219/retraites-blackrock-souffle-ses-conseils-pour-la-capitalisation-l-oreille-du-pouvoir

    https://www.liberation.fr/france/2019/09/11/thomas-piketty-sur-les-retraites-c-est-le-nouveau-super-macron-des-riches_1750751

    https://www.ptb.be/comment_les_travailleurs_belges_ont_bloqu_la_retraite_points

    https://www.agirc-arrco.fr/qui-sommes-nous/organisation/agirc/

    https://www.agirc-arrco.fr/qui-sommes-nous/organisation/federation-arrco/

    https://www.mediapart.fr/journal/economie/090418/retraite-la-porte-ouverte-aux-fonds-de-pension

    https://www.economie.gouv.fr/plan-entreprises-pacte#

    https://www.initiative-communiste.fr/articles/international/la-federation-syndicale-mondiale-intervient-pour-demander-le-retrait-du-planmacron-et-soutenir-les-travailleurs-en-france-la-ces-presidee-par-berger-muette/

    https://www.ptb.be/comment_les_travailleurs_belges_ont_bloqu_la_retraite_points

     

     

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