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  • Pour terminer l’année : Histoire de culs

     

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    Il y a quelques années, un ami parisien, connaissant mes goûts pour le fondement des choses, m’a amené en un lieu savoureux entre tous, le Musée de l’érotisme, qui dispensait ses trésors quelque part à Pigalle. Sur six étages on y découvrait photos ou publicités des lupanars célèbres des années 1930, un kâma sutra indien, d’innombrables phallus en bronze ou en bois d’Afrique, de Thaïlande ou d’ailleurs, un automate musical français de la fin du XVIIIe siècle représentant deux personnages en plein acte sexuel, des poupées russes obscènes, des dessins coquins de Wolinski, des sculptures et gravures érotiques du monde entier…

    Ce lieu, hélas, n’a pas résisté à la folie des loyers et a dû ferme ses portes…

    Mon ami m’a fait connaître ce discret temple du bonheur à l’occasion d’une exposition sur les fesses, signée Alexandre Dupouy, auteur d’une Anthologie de la fessée et de la flagellation (éd. La Musardine), grand collectionneur de clichés anciens. Ce fut l’occasion de passer en revue quelques millions d’années d’histoire de fesses.

    Parmi les 193 espèces vivantes de primates, une seule, l’espèce humaine, possède des fesses. C’est une caractéristique anatomique unique. D’après Yves Coppens, l’apparition des fesses date d’il y a trois ou quatre millions d’années — en Tanzanie — quand l’australopithèque afarensis (Lucy) adopte la marche bipède.

    Un animal obtient cependant l’honneur de voir son arrière-train nommé « fesses ». Lequel ? Pour le savoir, continuez à lire.

    Alfred Binet (1857-1911) observe que chez l’homme la morphologie de la fesse est dominée par les muscles fessiers, et chez les femmes par des tissus graisseux « harmonieusement » répartis, qui — comme la bosse du chameau — servent de ration alimentaire d’urgence. Normal : les hommes ont 20 milliards de cellules graisseuses, contre 40 milliards chez les femmes.

    Pour attirer les mâles, les femmes préhistoriques étaient stéatopyges, c’est-à-dire dotées de fesses monstrueusement énormes. Si énormes, que les mâles seraient passés de la position en levrette à la position du missionnaire… D’après le philosophe Desmond Morris, les seins des femelles humaines auraient alors pris du volume pour rappeler par mimétisme un gros cul…

    Dans le chapitre sur l’art de griffer, les Kama-sutra (manuel de savoir-vivre écrit entre le IVe et le VIIe siècle) précisent qu’on peut marquer les fesses dans l’ardeur de la passion. Parmi ces marques, citons : la griffe du tigre, le pied de faon ou la feuille de lotus. Ce sont des signes de possession.

    Le mot « derrière » apparaît en 1080. Il vient du latin deretro composé de retro (en arrière) et reste d’abord cantonné au vocabulaire militaire pour indiquer les bases arrières d’une armée : « C’était donc plutôt un soutien de renfort », explique Jean-Luc Hennig, historien et critique d’art de la fesse.

    Le mot fessée ne vient pas du mot fesse (fissa, la fente) mais de l’ancien français faisse qui désigne les courroies avec lesquelles on administre la correction. En 1498, fesser veut dire flageller, ce qui — pour Anatole France — est la « meilleure façon de faire entrer les vertus par le cul ».

    En 1532, Luther — tourmenté par des visions nocturnes — dit au diable : « Lèche-moi le cul. » Au Moyen-Âge, on pense en effet que le diable — privé de fesses — est jaloux de nos postérieurs. Pour se protéger des forces du mal, les Allemands mettent leurs derrières aux portes et aux fenêtres pendant les orages.

    Les Italiens, spécialistes du pinçon, distinguent le pizzicato (pincement sec et rapide, avec deux doigts, pour débutants), le vivace (vigoureux, avec plusieurs doigts en rapides torsions) et le sustenuto (pincement rotatif soutenu et prolongé). En France, l’hommage des mains aux fesses se disait « patinage » au XVe siècle, « pelotage » au XVIIe puis, vers 1890, « la main au panier ».

    En 1602, le père Sanchez indique que la seule position acceptable pour faire l’amour — aux yeux de l’Église — est la position du missionnaire. La position « en levrette » est impie car la vue du « podex » occasionne un surcroît de plaisir et peut même inciter le lubrique à coïter « hors du vase » réservé à la procréation.

    À part les tatouages, il n’existe au monde qu’une seule forme recensée de décoration de fesse. Au XVIIIe siècle, l’Anglais John Bulwer, rapporte en effet dans L’Homme Transformé : « J’ai souvenir… d’un certain peuple qui, par une forme d’absurde bravoure, se fait des trous dans les fesses où l’on suspend des pierres précieuses. Ce qui doit être une mode fort peu commode et fort préjudiciable à une existence sédentaire. »

    Le cul le plus connu de la peinture française appartient à Miss O’Murphy : en 1752, cette jolie vierge délurée pose pour Boucher, à plat ventre sur des coussins, le cul cambré et les cuisses écartées dans une pose charnue qui lui attire les foudres de Diderot et… les faveurs du roi Louis XV. L’Odalisque blonde (titre du tableau) devient maîtresse royale grâce à ses fesses.

    Au XVIIIe siècle, Goya peint la duchesse d’Albe, nue, allongée sur lit, dans un tableau titré Maja desnuda qui fait fantasmer toute l’Espagne. Dans son roman Sade, Sainte Thérèse, Pierre Bourgeade raconte qu’un lieutenant de la garde — désespéré de ne pouvoir la voir de dos — se suicida devant le tableau.

    1770 : Jean-Jacques Rousseau découvre le plaisir sexuel en recevant une fessée sur les genoux de sa tante (Les Confessions). Il faut savoir que, jusqu’au XVIIe siècle, la punition corporelle s’applique au-dessus des reins : sur le dos. Puis, comme attirée vers des régions plus expressives, plus sensuelles, elle vise cette zone « apte à la rougeur », où va se nicher la pudeur offensée. L’humiliation de la déculottée double le châtiment corporel d’un sentiment trouble de transgression.

    Vers 1810, Géricault dit « J’aime les hommes aux grosses fesses. » Pour trouver ses modèles, il traîne dans les écuries impériales de Versailles. Les chevaux — et ceux qui les montent — lui inspirent des visions viriles, musclées, de cavaliers aux croupes superposées sur celle de leur monture en de suggestives chevauchées. Géricault devient le peintre absolu du cul triomphant.

    En 1894, « avoir le cul sur le visage » signifie avoir une mine florissante de santé. Comme quoi le cul peut être synonyme de gaieté. En 1914 les expressions le confirment : « avoir le cul verni », « avoir du fion », « avoir du bol » ou « avoir une chance d’enculé ».

    D’une femme qui bouge bien, on dit qu’elle remue de la croupière, travaille du cul, marche sur des œufs, trémousse du valseur, ondule de l’anneau, tortille du popotin, etc. Balzac parle de « torsion lascive » et Léo Ferré dit « Ton style, c’est ton cul ».

    En 1864, Alfred Delvau, qui a le sens du calembour, dit que la fesse et la femme sont toutes deux des moitiés. À la même époque, on désigne les bordels sous le nom peu flatteur de « magasin de fesses ». Les mots fesse et femme semblent en effet avoir les mêmes origines latines : culus-cunus («cul-con »).

    Entre 1890 et 1940, c’est la folie de la fessée : il sort entre 700 et 800 parutions « flagellationistes », romans coquins à déculottade et percutants récits d’éducation anglaise… « Historiquement, la "mode" de la fessée est souvent liée à la montée du féminisme, explique le psychanalyste Jean-Pierre Bourgeron. Dans les années 30, quand les femmes se coiffent à la garçonne, revendiquent le droit de vote et deviennent androgynes, les hommes prennent leur revanche en faisant panpan-cul. »

    En 1919, Marcel Duchamp colle une moustache sur La Joconde et appelle ce tableau L.H.O.O.Q. Et si La Joconde était un cul ? Vue dans un miroir, ses lèvres révèlent en effet deux fessiers masculins ! Léonard de Vinci, accusé d’homosexualité en 1476, aurait donc dissimulé dans ce portrait son amour des éphèbes aux belles fesses ? Il disait lui-même qu’une peinture est plus belle vue dans un miroir.

    Dans les années quarante, Dali s’entoure de femmes aux beaux culs. « Par le cul les plus grands mystères deviennent sondables », dit-il. Il prétend avoir découvert une analogie entre les fesses d’une de ses invitées et le continuum universel qu’il appelle alors « continuum à quatre fesses » (c’est-à-dire l’atome).

    Après les femmes, c’est au tour des hommes de se faire bien châtier. Dans les années cinquante, Eric Stanton, dessinateur de génie, publie ses illustrations de « Guys in gowns » (mecs en nuisette) et de « male maid » (soubrette à quéquette) déculottés et martyrisés par des dominatrices… « Frappez votre homme. Vos ongles rouges s’accordent si bien avec la couleur de son derrière ! »

    En 1963, Godard tourne la fameuse scène du Mépris («Et mes fesses, tu les aimes mes fesses ? ») à la demande expresse des producteurs. Mais il la place dès le début du film… Pour en finir avec les fesses de Brigitte Bardot.

    En avril 1986, le cannibale Issei Sagawa raconte à un journaliste qu’après avoir tué son amie Hollandaise il lui a mangé la fesse droite : « Comme c’était très bon, j’en ai mangé une grande quantité. Il faut dire que pour moi les fesses sont la partie la plus attirante du corps de la femme. »

    Pour se refaire les fesses, certaines femmes ont recours aux prothèses de fesse en silicone solide. Un seul problème : certaines, en s’asseyant, font partir la silicone dans les cuisses, obtenant une culotte de cheval. « C’est ce qu’on appelle en terme médical une migration de la silicone, explique Jean-Luc Hennig (Brève histoire des fesses, éd. Zulma). Ou plus simplement une coulée de fesse ».

    Le photographe Jean-loup Sieff affirme préférer les fesses aux visages parce que « c’est la partie la plus secrète, la plus émouvante, c’est celle qui se souvient, qui est tournée vers le passé, alors que nous allons inexorablement de l’avant, et qui regarde le chemin parcouru. »

    Voilà. Et sachez Mesdames que certaines d’entre vous, bénie par Cupidon et Aphrodite sont tellement callipyges qu’on peut dire qu’elles s’assoient sur une œuvre d’art.

    Eh ! Victor, crois-tu que cette chronique restera dans les annales ?


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  • Dernier cadeau du Père Noël…

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    Kevin-Jérôme avait supporté avec un courage méritoire le repas du réveillon de Noël. En famille le repas. A quinze ans ! La honte. Avec tonton Georges et tante Jennifer en invités vedettes. Pas mal la tante ! Et les morveux ! Y en avait eu que pour eux. Parait que les enfants, c’est les rois des fêtes de Noël. Y en a toujours un qui pleure, qui pisse, qui gueule.

    Les scintillants, les bougies, et rien que des conneries dans l’assiette : huîtres, langoustes en sauce armoricaine – beurk !, foie gras – rebeurk !, dinde, fromages qui puent – rerebeurk !… Même pas de nuggets, même pas de frites, même pas de ketchup. Et dans les verres, des saloperies genre Saint-Émilion et Châteauneuf-du-Pape. Même pas de coca. La honte. Et il avait fallu supporter ça…

    Et les cadeaux… Des livres, même pas de BD, des livres pour lui ! Ah ! Y avait tout de même eu l’intermède de son père qui pour faire de l’humour, avait offert à tante Jennifer un petit slip blanc bordé de dentelles rouges avec, écrit devant « Entrée du public » et derrière « Entrée des artistes » avec de petites flèches descendantes. D’une délicatesse… Elle n’avait que modérément apprécié tante Jennifer. Un peu relou le dabe !

    Il avait fallu attendre trois plombes avant de pouvoir aller se pieuter. Enfin seul dans sa chambre, Kevin-Jérôme, devant la glace, se fait éclater deux ou trois boutons d’acné puis tire quelques puffs d’un joint de beu. De la hollandaise. Il se libère de ses fringues et s’allonge sous sa couette, se laissant voluptueusement glisser sur la pente de ses rêves dans les bras de Morphée.

    Soudain, l’ado distingue une forme lumineuse dans la chambre. Une étrange silhouette pourpre bordée d’une aura d’un blanc bleuté électrique qui se déplace lentement et s’approche du lit. Kevin-Jérôme, encore aux confins de l’enfance, croit reconnaître l’apparence du Père Noël…

    Le Père Noël approche sans bruit du lit et, d’un geste large, se débarrasse de sa houppelande. Mais, mais… bégaie Kevin-Jérôme dans sa tête « ce n’est pas le Père Noël, c’est la Mère Noël ! ».

    Une Mère Noël nue sous la houppelande dont elle vient de se libèrer. Kevin-Jérôme jette de côté la couette qui lui masquait en partie la somptueuse vision. La Mère Noël met les mains à sa taille et, en deux coups de hanche rapide, fait glisser son slip dont elle se sépare d’un coup de pied léger. Puis, mains dans son opulente chevelure sombre, un sourire énigmatique illuminant son beau visage, cambrée, elle avance en glissant souplement, comme un torero devant le fauve, ondulant d’une hanche sur l’autre.

    Kevin-Jérôme est tétanisé. Ses yeux ne peuvent se détacher de ce triangle sombre, de cette crinière de geai qui fleurit entre le ventre et les cuisses de la Mère Noël, au confluent de tous les désirs.

    Celle-ci, d’un bond, se place solidement à califourchon sur la poitrine osseuse du jeune homme. Ondulant d’une épaule sur l’autre, ses longs cheveux lui masquant à demi le visage, elle présente à la bouche du jeune homme un sein puis l’autre. Deux beaux obus prolongés par une large aréole brune, que Kevin-Jérôme perçoit comme d’une lumineuse blancheur malgré la pénombre. Les bras coincés le long de son corps par les genoux et les cuisses de Mère Noël, le jeune homme ne peut saisir ces somptueuses rotondités qui le rendent fou de désir. Sa bouche s’efforce d’aspirer, de téter les pointes érigées. Puis Mère Noël change de position, se mettant toujours à califourchon, mais présentant son dos à la vue de Kevin-Jérôme. Elle recule, enjambant les épaules du jeune homme qui se retrouve la tête entre les cuisses de Mère Noël. Kevin-Jérôme, dans la nuit calendale, pour la première fois de sa vie, se trouve face à l’entrée du paradis. En face d’ELLE qu’il découvre. Une corolle ouverte, toute lisse dans son écrin de fourrure noire. Et l’œil de bronze. Devant son nez. Il respire à pleins poumons tous ces effluves fantastiques. Un parfum somptueux : nez marin, crevette rose, jasmin, avec de légères nuances de poivre et de sueur.

    N’en pouvant plus, Kevin-Jérôme enfouit son visage dans cette conque rose et nacrée. Le goût ! Ouarf ! le goût ! Une attaque en bouche franchement océane, goût de violet, avec des nuances d’anchois fraîches et de dorade grillée au fenouil. Puis viennent de délicates saveurs animales, de vieux cuir, de fauve en rut. Suivent des fragrances de charcuterie fine, rosette, jésus, avec des touches poivrées de copa, de figatelli. Enfin une somptueuse fin de bouche longue, ample, de sous-bois, de truffes et de violettes.

    Mère Noël, pendant ce temps, honore savamment la flamberge qui se dresse devant sa bouche goulue. Des lèvres, de la langue, des dents, elle prend la mesure de la virilité naissante, puis, se redressant, elle s’assoit sur le visage de Kevin-Jérôme, lui emprisonnant totalement bouche et narines. Celui-ci, au bord de l’asphyxie, hume, grume, lèche, avale le miel du bonheur. Pleins de lumières dans sa tête, plein de musiques, plein de cloches, plein de guirlandes de fleurs. Quelle fête !

    La créature céleste libère enfin les bronches en feu de sa victime, se tourne et s’empale brutalement sur le membre tendu, gonflé de désir du jeune homme. Cavalière de tous les délices, Mère Noël, en quelques coups de reins, conduit le jeune homme aux confins de l’extase, aspirant aux tréfonds d’elle-même cette semence toute neuve. Elle module son cri de jouissance en un feulement de lionne comblée.

    Tandis que Kevin-Jérôme, abruti de bonheur, sombre pour la première fois de sa vie dans cette somptueuse petite mort de l’amour, la créature ramasse sa houppelande et disparaît comme elle est venue.

    Au matin, Kevin-Jérôme, réveillé par le premier rayon de soleil de sa vie d’homme, les mains, le ventre et le sexe poisseux, essaie de retrouver, de retenir les bribes de rêves de la plus belle de ses nuits. Il se lève enfin et se dirige vers la salle de bains.

    Entre le lit et la porte, il trouve le petit slip blanc bordé de dentelles rouge offert la veille… à tante Jennifer !

    Victor Ayoli

     

    Et puis tiens, cadeau !

     

  • Les pères Noël « Gilets jaunes » !

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    Dans une pièce quelque part dans le Grand Nord se tiennent quatre personnages. Au centre, un homme d’affaires avec l’uniforme de sa fonction : costumes sombres, cravate, attaché-case. Il fait les cent pas nerveusement. À ses côtés, trois pères Noël qui, sur leur robe rouge, on enfilé un gilet jaune. Sur lequel ils ont écrit au large feutre « EN GRÉVE »

    L’homme d’affaires, fou de rage, les tance :

    - Non mais qu'est-ce que c'est que ce déguisement ? Un gilet jaune. Non mais je cauchemarde. Anarchistes ! Bolchéviques ! Français ! Messieurs les pères Noël, votre attitude est inadmissible ! Vous mettre en grève, dans le monde entier, la veille de Noël ! C’est un coup de force inacceptable. FIRED ! VIRES ! Virés ! Tous ! Vous allez tous être virés ! Un plan social planétaire !

    Auriez-vous oublié, Messieurs que c’est nous — le monde des affaires, les usines de jouets, le grand commerce — qui vous avons créés ? Qui vous avons inventés pour servir les intérêts de nos actionnaires ?

    Auriez-vous oublié que vous n’avez d’autre légitimité que celle du commerce ? Votre existence même est liée à l’efficacité avec laquelle vous incitez les enfants, et surtout leurs parents à acheter, acheter, ACHETER ! Acheter toujours plus de jouets toujours plus chers, toujours plus compliqués. Ceci afin que nos usines tournent, que nos établissements vendent, que nos profits se gonflent. Pour le plus grand bien de nos actionnaires, les retraités américains. Votre seule fonction est de faire en sorte que les enfants engraissent les retraités du Wisconsin et de Dallas ! Compris ?

    Le PNGJ - père Noël gilet jaune - le plus barbu prend alors la parole :

    - Nous savons pertinemment que c’est vous, les gens des affaires, qui nous avez inventés. Nous savons très bien que nous n’avons pas de légitimité religieuse ou mythique, comme Saint-Nicolas, comme la Babouchka, comme la Béfana. Autant de personnages sympathiques, reflets de cultures ancestrales à travers le monde, et que vous avez — à travers nous — ridiculisés, ringardisés et jetés aux oubliettes. Nous savons tout cela.

    - Alors fermez-la et travaillez ! Travaillez ! Vous m’entendez ? Jetez-moi à la poubelles votre insupportable gilet jaune et allez TRAVAILLER ! Le TRAVAIL ! Le TRAVAIL ! Pour notre PROFIT. Il n'y a que ça. Prenez vos rennes — un troupeau dont l’entretien toute l’année nous coûte des containers de dollars. Tout comme ce siège social en Laponie, dans le grand nord de la Suède. Enfin, encore ça, c'est de la promo, pour bourrer le crâne des gogos. Prenez vos rennes et partez livrer les produits de nos usines qui font travailler des enfants chinois. Nous avons investi en promotion et publicités des milliards et des milliards. Ce n’est pas pour que le profit qu’en attendent nos actionnaires soit mis à mal par les états d’âme d’employés subalternes tels que vous !

    - Non. Nous ne travaillerons pas cette nuit de Noël. Nous refusons de continuer à nous faire les complices d’une gigantesque opération de racket mondial et d’abrutissement de l’enfance. Nous ne livrerons pas vos jeux électroniques basés sur la violence et la mort. Nous ne livrerons pas tous ces gadgets, très chers, trop chers, qui ruinent les parents et n’intéressent que peu les enfants.

    - Ggrrrr ! ! ! ! C’est une catastrophe ! Nos profits ! Mes stock-options ! Avec le mal que nous nous donnons depuis des années pour imposer aux enfants l’usage de nos jeux électroniques…

    - Nous qui connaissons les gosses, nous qui voyons le rêve dans leurs yeux la veille de Noël, savez-vous ce que nous avons remarqué ? C’est que les enfants, au matin tant attendu jouent surtout… avec les cartons d’emballage des jouets coûteux que vous leur imposez ! Voilà pourquoi nous refusons dorénavant de nous faire les complices de votre entreprise de négation du rêve, de négation de toute culture. Nous refusons — nous, pères Noël du monde — d’être vos instruments dans cette entreprise d’acculturation mondiale : partout une seule et même musique, partout les mêmes jouets chers et tuant l’imagination, partout une seule idéologie, celle de l’argent, du fric, du pognon.

    Nous voulons, nous, pères Noël, que les enfants du monde rêvent, réfléchissent, s’épanouissent dans la diversité et la richesse de leurs cultures.

    - Mais c’est une révolution ! Apprendre à réfléchir aux gosses… Puis quoi encore ? Ont-ils besoin de réfléchir pour devenir de bons consommateurs adultes ? Bien dociles et réceptifs à nos messages publicitaires ? Mais vous voulez tout foutre en l’air, ma parole ! Mes profits… Mes stock-options…

    Avec tout l’argent que nous dépensons dans les télévisions, dans les ordinateurs, dans les play-stations pour empêcher les gens de réfléchir. Pourquoi pas la liberté, l’égalité, la fraternité puisque vous y êtes ? Révolutionnaires ! Sans-culottes ! Anarchistes ! Bolchéviques ! Gilets jaunes ! Français ! Vous allez nous ruiner avec vos dangereuses utopies ! Mais pour qui vous prenez-vous ?

    - Pour des gens qui ont une grande responsabilité. Bien sûr, nous sommes vos créatures, mais nous tenons maintenant notre légitimité de notre succès. Des millions d’enfants du monde croient en nous et nous attendent avec espoir, la tête pleine d’étoiles. Nous ne pouvons pas les décevoir. Nous ferons donc notre tournée cette année encore…

    - Ah ! Enfin une bonne parole ! Alors finis de jaser pour ne rien dire. Remplissez vos hottes, vos traîneaux, atteler vos rennes et, Oust ! Partez !

    - Je crois que nous nous sommes mal compris. Nous allons faire notre tournée, mais pas pour livrer vos niaiseries. Nous allons porter aux enfants du monde des messages d’intelligence, des ferments de liberté, des gages d’égalité, des élans de fraternité.

    - Ah ! Ah ! Laissez-moi ricaner… Et comment donc ?

    - N’oubliez pas que nous sommes en Scandinavie, patrie des célèbres Prix Nobel. Eh bien nous, nous allons créer les « Prix Noël » ! Nous allons livrer dans les cheminées des enfants du monde des Livres ! Des LIVRES ! Car c’est dans les Livres que se trouve le Savoir, l’Intelligence, la Tolérance, la Concorde, l’Entraide, l’Amitié et l’Amour entre les enfants, entre les Hommes.

    Tandis que l’homme d’affaires se ronge les poings en morigénant, les pères Noël s’en vont, leurs hottes pleines de livres, au trot tintinnabulant de leurs rennes ailés.

    Rêve ? Heureusement qu’il reste le rêve : la dernière liberté…



    Victor Ayoli

     

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