- Oh ! Victor. On arrive au quinze août. C’est le moment où l’été en prend un coup, où on attend les orages qui donneront ou pas des cèpes, c’est même le moment où commencent les vendanges avec le réchauffement climatique.
- C’est aussi le moment où les hôteliers et les marchands de breloques de Lourdes font leur meilleur chiffre d’affaires de l’année. Un vrai miracle économique !
- Eh ! Oh ! Victor, crache pas dans la soupe. Il paraît que le miracle « mad in France », c’est ce qui se fait de mieux. Lourdes truste les miracles. Loin devant les autres miraclodromes ayant quelque notoriété, comme Fatima chez les Portos, lancé sous une dictature en 1917. Pour revenir à Lourdes, sur les soixante et dix miraculés reconnus à ce jour, 80 % sont des femmes, 82 % sont français, avec quelques Italiens et Belges. Eh ! Oh ! C’est du sérieux ça ! Label France ! Cocorico ! Et féministe en plus : c’est Marie qui fait les miracles, pas les mâles de la tribu !
- Mouais… Au niveau du rendement, c’est pas terrible tout de même Loulle. Nous savons qu’il y a 70 miracles authentifiés pour des centaines de millions de visiteurs depuis 1858. Imaginons que Lourdes ait reçu 500 millions de personnes en première visite - pas les pèlerins qui viennent chaque année - depuis les apparitions à la petite Bernadette Scoubidou. Il y aurait donc une guérison miraculeuse tous les 7 millions de visiteurs environ. Eh ! Ils sont radins le grand barbu et sa maman. Le problème est que Lourdes n’a pas le monopole des guérisons inexplicables. Sans faire appel à la bonne volonté de Dieu ou de la Sainte Vierge, les milieux hospitaliers connaissent, eux aussi, le bonheur de voir certains de leurs patients, manifestement condamnés, guérir sans que leur médecin puisse l’expliquer. À vrai dire, les cas de rémissions spontanés dans les milieux hospitaliers sont assez peu connus. Paradoxalement, ces guérisons ne semblent pas beaucoup intéresser les chercheurs mais je pense que la proportion doit être la même qu’à Lourdes ! Seulement voilà, la publicité faite autour d’un « miracle » constaté à Lourdes est beaucoup plus importante que celle dont peut bénéficier une rémission en milieu hospitalier. Elle va donner lieu à des reportages télévisés, radiophoniques, à des articles de presse. Des interviews du ou de la miraculée seront réalisées. On cherchera à en savoir plus : comment les choses se sont-elles passées ? Comme le récit sera objectivement extraordinaire, il va frapper les esprits. Il restera dans l’air comme une impression favorable au lieu saint. Une sorte d’opium du croyant…
- Quel mécréant ce Victor ! Pourtant pour qu’une guérison soit reconnue comme miraculeuse par l’Église catholique, il faut qu’un groupe de médecins la déclare complète, durable et « inexplicable dans l’état actuel des connaissances médicales », puis qu’un évêque la déclare miraculeuse. Eh ! C’est rigoureux tout de même Victor.
- Bof. Un pic d’authentifications a eu lieu entre 1900 et 1920. Il faudrait faire une mention spéciale pour 1908, où vingt miracles ont été validés, ce qui constitue un record inégalé à ce jour. Un record très opportun il faut dire, car cette date correspondait au cinquantenaire des apparitions mariales à Lourdes ! Fallait marquer le coup. Ensuite, le nombre de miraculés chute vertigineusement entre 1920 et 1940, ce qui correspond à la mise en place d’une commission d’évaluation composée exclusivement de médecins. Puis le nombre de miraculés diminue sensiblement à partir des années soixante. Là encore, la rigueur accrue de la commission scientifique de Lourdes, qui devient internationale, et les progrès des connaissances médicales ne sont probablement pas étrangers au phénomène.
- Tu nous casses le rêve Victor. D’autant plus que Lourdes, c’est bon pour les affaires. Si j’étais mastroquet là-bas, je servirais dans mon rade du vin de messe et le pastaga à l’eau bénite !
- Ouais Loulle, mais ces miracles, c’est tout de même petit bras. Un type qui marche un peu mieux, une femme dont la tremblote s’arrête, une qui recouvre une partie de la vue, etc. C’est bien, mais c’est pas assez spectaculaire. C’est du miracle d’entrée de gamme, du miracle de consommation courante. Et beaucoup sont de la maison : des bonnes soeurs. C’est pas ça qui résoudra le déficit commercial de la France. Ce qui nous faudrait, c’est du miracle A.O.C. De l’incontestable. Un vrai beau miracle. Un qui ferait gratter les boyaux de la tête même à un vieux mécréant comme moi. Par exemple la repousse de la jambe arrachée d’un accidenté de la route. En direct à des heures de grande écoute. Devant les caméras du monde entier. Attends, au barbu qui est « tout puissant », ça y coûterait quoi de plus ? Rien. C’est aussi facile pour lui justement puisqu’il est « tout puissant ».
- Ouarf ! Je vois ça d’ici Victor. Au 20 heures de TF1, de France2 et de Arte, on verrait sortir doucement une belle jambe toute neuve, toute rose, frémissante, sortant comme le poussin de l’œuf du moignon sanguinolent ! Avec des gros plans bien cadrés. Sous les Hourras et les Alléluias de la foule déchaînée ! Des conversions payantes à tout va, des listes d’attente pour les miracles, les hôtels pleins, les devises qui rentrent, la « croissance », d’abord de la jambe, puis de l’économie du pays…
- Ben, c’est pas demain la veille Loulle. Tè ! Sers-nous un rouge. Celui-là, s’il n’est pas miraculeux, il réchauffe agréablement la tripe !
Illustration: merci au regretté Chimulus