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gilet jaune

  • La révolte des pères Noël en gilet jaune !

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    Dans une pièce quelque part dans le Grand Nord se tiennent quatre personnages. Au centre, un homme d’affaire avec l’uniforme de sa fonction : costumes sombre, cravate, attaché-case. Il fait les cent pas nerveusement. A ses côtés, trois pères Noël en robe rouge bardée...d'un gilet jaune !

    L’homme d’affaires les tance en globish :

    — Messieurs les pères Noël, votre attitude est inadmissible ! Mais qu'est-ce que c'est que ce déguisement ? Un gilet jaune sur votre houppelande rouge ! Que va penser notre sponsor Coca cola, c'est lui qui paie vos houppelandes. Et chers ! Mais enfin qu'est-ce qu'il vous prend ? Vous mettre en grève, dans le monde entier, la veille de Noël ! C’est un coup de force inacceptable. Virés ! Tous ! Vous allez tous être virés ! Un plan social planétaire ! Fired ! FIRED !

    Auriez-vous oubliés, Messieurs que c’est nous — le monde des affaires, les usines de jouets, le grand commerce — qui vous avons créé ? Qui vous avons inventé pour servir les intérêts de nos actionnaires ?

    Auriez-vous oubliés que vous n’avez d’autre légitimité que celle du commerce ? Votre existence même est liée à l’efficacité avec laquelle vous incitez les enfants, et surtout leurs parents à acheter, acheter, acheter ! Acheter toujours plus de jouets toujours plus chers, toujours plus compliqués. Ceci afin que nos usines tournent, que nos établissements vendent, que nos profits se gonflent. Pour le plus grand bien de nos actionnaires, les retraités américains. Votre seule fonction est de faire en sorte que les enfants engraissent les retraités du Wisconsin et de Dallas ! Compris ?

    Le père Noël le plus barbu, bardé d'un grand gilet jaune fluo, prend alors la parole :

    — Nous savons pertinemment que c’est vous, les gens des affaires, qui nous avez inventés. Nous savons très bien que nous n’avons pas de légitimité religieuse ou mythique, comme Saint-Nicolas, comme la Babouchka, comme la Béfana. Autant de personnages sympathiques, reflets de cultures ancestrales à travers le monde, et que vous avez — à travers nous — ridiculisés, ringardisés et jetés aux oubliettes. Nous savons tout cela.

    — Alors fermez-là et travaillez ! Travaillez ! Vous m’entendez ? Prenez vos rennes — un troupeau dont l’entretien toute l’année nous coûte beaucoup d’argent tout comme ce siège social en Laponie, une folie qu'il nous faut rentabiliser. Prenez vos rennes et partez livrer les produits de nos usines. Nous avons investi en promotion et publicités des milliards et des milliards. Ce n’est pas pour que le profit qu’en attendent nos actionnaires soit mis à mal par les états d’âme d’employés subalternes tels que vous !

    — Non. Nous ne travaillerons pas cette nuit de Noël. Nous refusons de continuer à nous faire les complices d’une gigantesque opération de racket mondial et d’abrutissement de l’enfance. Nous ne livrerons pas vos jeux électroniques basés sur la violence et la mort. Nous ne livrerons pas tous ces gadgets, très chers, trop chers, qui ruinent les parents et n’intéressent que peu les enfants.

    — Ggrrrr ! ! ! ! C’est une catastrophe ! Nos profits ! Mes stock-options ! Avec le mal que nous nous donnons depuis des années pour imposer aux enfants l’usage de nos jeux électroniques…

    — Nous qui connaissons les gosses, nous qui voyons le rêve dans leurs yeux la veille de Noël, savez-vous ce que nous avons remarqué ? C’est que les enfants, au matin tant attendu jouent surtout… avec les cartons d’emballage des jouets coûteux que vous leur imposez ! Voilà pourquoi nous refusons dorénavant de nous faire les complices de votre entreprise de négation du rêve, de négation de toute culture. Nous refusons — nous pères Noël du monde — d’être vos instruments dans cette entreprise d’acculturation mondiale : partout une seule et même musique, partout les mêmes jouets chers et tuant l’imagination, partout une seule idéologie, celle de l’argent, du fric, du pognon.

    Nous voulons, nous, pères Noël, que les enfants du monde rêvent, réfléchissent, s’épanouissent dans la diversité et la richesse de leurs cultures.

    — Mais c’est une révolution ! Apprendre à réfléchir aux gosses… Puis quoi encore ? Ont-ils besoin de réfléchir pour devenir de bons consommateurs adultes ? Bien dociles et réceptifs à nos messages publicitaires ? Mais vous voulez tout foutre en l’air, ma parole ! Mes profit… Mes stock-options… Fired ! FIRED !

    Avec tout l’argent que nous dépensons dans les télévisions, dans les ordinateurs, dans les play-stations, dans les e.phones et toutes leurs applications pour empêcher les gens de réfléchir. Pourquoi pas la liberté, l’égalité, la fraternité puisque vous y êtes ? Révolutionnaires ! Sans-culottes ! Bolchéviques ! Gilets jaunes ! Vous allez nous ruiner avec vos dangereuses utopies ! Mais pour qui vous prenez-vous ?

    — Pour des gens qui ont une grande responsabilité. Bien sûr, nous sommes vos créatures, mais nous tenons maintenant notre légitimité de notre succès. Des millions d’enfants du monde croient en nous et nous attendent avec espoir, la tête pleine d’étoiles. Nous ne pouvons pas les décevoir. Nous ferons donc notre tournée cette année encore…

    — Ah ! Enfin une bonne parole ! Alors finis de jaser pour ne rien dire. Remplissez vos hottes, vos traîneaux, atteler vos rennes, débarrassez-vous de votre stupide gilet jaune et, Oust ! Partez !

    — Je crois que nous nous sommes mal compris. Nous allons faire notre tournée, mais pas pour livrer vos niaiseries. Nous allons porter aux enfants du monde des messages d’intelligence, des ferments de liberté, des gages d’égalité, des élans de fraternité.

    — Ah ! Ah ! Laissez-moi ricaner… Et comment donc ?

    — N’oubliez pas que nous sommes en Scandinavie, patrie des célèbres Prix Nobel. Eh bien nous, nous allons créer les “ Prix Noël ” ! Nous allons livrer dans les cheminées des enfants du monde des Livres ! Des Livres ! Car c’est dans les Livres que se trouve le Savoir, l’Intelligence, la Tolérance, la Concorde, l’Entraide, l’Amitié et l’Amour entre les enfants, entre les Hommes.

    Tandis que l’homme d’affaire se ronge les poings en morigénant, les pères Noël s’en vont, leurs hottes pleines de livres, au trot tintinnabulant de leurs rennes ailés.

    Rêve ? Heureusement qu’il reste le rêve : la dernière liberté…

     

    Victor Ayoli


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