Les ministres Jacqueline Gourault et Didier Guillaume ont assisté à une corrida avec le maire de Bayonne Jean-René Etchegaray. Et voilà qu’à l’initiative de la « Fondation Brigitte Bardot » - oui, cette ex sex symbole recyclée dans la défense des bestiaux qui en d’autres temps a fait couper les couilles de l’âne que son voisin lui avait confié ! - un ramdam qui ronfle, qui gonfle et qui éclate en violentes salves de konneries.
On peut tout critiquer, bien sûr, mais on est arrivé à un point où la moindre adhésion, le moindre soutien, la moindre idée défendue déclenche des salves d’indignation où, la main sur le cœur, drapée dans leur dignité de pacotille, les bien-pensants vouent aux gémonies et réclament à cor et à cri les foudres de la loi contre tout ce qui n’est pas édulcoré, uniformisé, castré.
Hypocrisie, faux-cultisme que tout cela. Bienvenue dans le monde du propre, de l’inodore, du sans saveur. Bienvenue aux troupeaux de con-sommateurs bêlant dans les temples de la con-sommation que sont les centres commerciaux où la viande ne ressemble plus à un morceau d’animal.
C’est le couille-mollisme triomphant où la sensiblerie tient lieu de morale. Mais où sont-ils les Occidentaux conquérants, triomphants partout dans le monde, inventant l’avenir, apportant la liberté, combattant le crétinisme religieux, donnant tous ses droits à l’Humain ? Donnant aussi – ne soyons pas angéliques - la mort, l’esclavage, le génocide. Donnant au monde Pasteur, Fleming, Newton, Descartes, Einstein, Mozart, Verdi, Léonard de Vinci, mais aussi Hitler, Staline, les Inquisiteurs, la bombe d’Hiroshima.
Comme il serait heureux de croire que la corrida est le dernier bastion de la barbarie ! Que l’éradiquer marquerait la fin d’une époque sanguinaire à jamais révolue. Tè ! Fume…
La mort est toujours là mais on la nie. Le sang coule partout mais on le cache. Tous les animaux de nos belles campagnes – cochons, moutons, vaches, chevaux, poules, etc. finissent leur vie à l’abattoir. Et même des milliers de chien-chiens euthanasiés chaque année. Mais chut, faut pas le dire, faut le cacher. La corrida, elle, nous montre tels que nous sommes. L’Humain - moi, toi, lui, nous – est vraiment un drôle d’animal. Une sale bête…
Les gradins de la Plaza de toro de Bayonne sont garnis jusqu’au sommet d’une foule aux couleurs excessives. Sous un soleil excessif. Pour trembler, hurler, s’enthousiasmer, applaudir, haïr de manière excessive devant un spectacle excessif.
Un rituel ancestral codifiant le combat de l’homme et du dieu Mithra. La corrida. Transcendée ou honnie, elle est une des expressions de la civilisation du Sud. Mais reste imperméable à la compréhension des gens « du Nord »
A las cinco de la tarde…
Symboliquement, c’est le combat de l’homme et de la femme. Combat toujours perdu par l’homme.
L’homme, ici, c’est le toro, sa puissance brute, son courage insensé, ses charges désordonnées. La beauté de la force.
La femme, c’est le torero. Léger, aérien, si féminin dans son allure et ses attitudes. Opposant à la force l’intelligence, l’esquive, le leurre. La beauté.
Au centre du cirque, sous dix mille paires d’yeux, il y a un homme.
Une « danseuse » dit Cabrel qui n’a manifestement jamais vu l’œil d’un toro de près. Et un monstre mythique. Six cents kilos de force brute, de bravoure, de volonté de détruire tout ce qui s’oppose à lui.
Des deux, un seul sortira vivant. Et ce sera, presque toujours, l’homme. L’animal n’a jamais sa chance. C’est vrai. Combat inégal, certes, mais où l’homme risque toujours sa vie. Où son existence est suspendue à une erreur, une inattention. Où il frôle constamment la cogida, la blessure, le désastre, la mort.
On est là. Assis. Pétrifié par une attention insupportable. Tous nos sens tendus vers le ballet de mort qui se déroule à quelques dizaines de mètres.
Ambiguïté de l’homme : on tremble pour le torero mais on sent pourtant monter, malgré tous les barrages de la civilisation, depuis les tréfonds cachés de notre personnalité, l’angoisse mais aussi quelque chose de moche, de sale : l’espoir honteux de la victoire du toro, de la défaite et du massacre de l’homme. Le dompteur mangé par le lion…
La corrida, c’est du sang, de la peur, de la violence.
C’est la mort toujours présente. Fascinante et répugnante. Appelée et rejetée.
La corrida, c’est beau et obscène. Grandiose et pervers.
Comme la vie. Comme la mort.
Codicille : pour mieux juger de cet art éphémère, comme la danse, allez voir cette faena époustouflante de Sébastien Castellas aux Saintes-Maries-de-la-Mer où le toro – formidable – a été gracié et a regagné le toril sous les applaudissements de milliers d’aficionados debout :
http://www.corrida.tv/rubriques/actualites/index.asp?id=3682
Illustration: merci à Picasso (le peintre génial, pas la voiture)