Elise
On disait pis que pendre de la hautaine Élise
On la disait frigide, froide comme banquise.
Sa longue silhouette drapée de voiles noirs
Paralysait les hommes, leur ôtant tout espoir.
Des mâles dépités la présumaient lesbienne.
Tout cela m’excitait et je la voulais mienne !
J’imaginais son corps sans sa robe de geai,
Ses longues cuisses blanches et ses seins érigés,
L’arc tendu de sa croupe, le soleil de son ventre…
Je voulais, pour l’aimer, l’amener dans mon antre.
Par nuit de pleine lune, je l’ai suivie de loin
Jusques au cimetière. Tapi dans un recoin
Je l’ai vu dénudée auprès d’un vieux grimoire :
Elle servait d’autel pour une messe noire…
Pour Elise : Les seiches au riz noir
- Ben, mon cochon, Victor ! T’as de drôles de goûts !
Ton Élise, dis donc, c’est un étrange coup !
Une mousmée maniaque, à poil, sur une tombe…
Faut être un peu fêlée… Tè, vé, les bras m’en tombent.
- Si c’est ce qu’il lui faut, cette étrange atmosphère ?
Tu sais, le paradis est proche de l’enfer…
- Alors, pour la séduire, ta Vénus des caveaux,
Faut lui faire des plats qui soient à son niveau.
Rouges sang, blancs ou gris, mais où le noir domine
Doivent être les mets pour ta belle androgyne.
En entrée, tu lui sers un grand plateau d’oursins,
Noirs et piquants dehors, mais aux parfums douçains,
Dont la chair rouge sang, d’une saveur subtile,
Désarmera la belle de ses pulsions hostiles.
Puis une truffe noire, dont l’arôme puissant
Dans quelques œufs brouillés sera appétissant.
Il me vient à l’idée une recette ancienne :
Les seiches au riz noir, comme à la vénitienne.
Prends un kilo de seiches chez un bon poissonnier,
Il t’enlèvera l’os sans se faire prier.
Pour ne pas cuisiner comme le dernier cancre
Bien précieusement garde les poches d’encre.
Tes seiches, en lamelles, tu vas les lacérer,
Sauf une que tu gardes pour, en fin, décorer.
Un court-bouillon tu dois préparer à l’avance :
Poissons et crustacés épicés d’abondance.
Fais revenir à l’huile deux beaux oignons hachés,
Mélangés à tes seiches. Ne fais pas accrocher.
Mouille avec quatre louches de ton court-bouillon,
Fais cuire dix minutes à tout petit bouillon.
Jette en pluie trois hectos de riz rond de Camargue
Poussé dans les embruns que Mare Nostrum largue,
Ajoute, à ton encre, deux verres de vin blanc,
Puis mélange le tout en tournant lentement.
Arrête de tourner lorsque c’est homogène,
Enfin baisse ta flamme car un feu trop fort gène.
Au cours de la cuisson, mouille de bouillon chaud,
Sale et poivre à ton goût, mais ne sois pas manchot.
Pour savoir si c’est cuit, de temps en temps tu goûtes :
Ton riz doit être souple, sans coller, tu t’en doutes.
Tes seiches et ton riz noir, dans un large plat blanc
Vont faire leur office de canapé brûlant
Sur lequel tu déposes la seiche ronde et blanche
Reposant sur un lit de persil plat en branches.
Ce plat délicieux à l’aspect sépulcral
Poussera ton Élise au péché capital.
À nous, belles conquêtes ! Le vin vous embellit.
Continuons la fête, ouvrez-nous votre lit.
Chantons, rions, mangeons, et trinquons nuit et jour
À la beauté des femmes, au vin et à l’amour !
Ingrédients et proportions pour six personnes:
- 3 kilos de seiches désossées, - leurs poches d'encre;
Pour le court bouillon: - 1 kilo de poissons à soupe rouge, - 1 livre de favouilles ;
- 6 oignons hachés, - 1 demi kilo de riz rond de Camargue, - 6 verres de vin blanc de Laudun.
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